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pensait encore de ce grand art le XVIIIe siècle ? Voltaire va nous le dire. « Je regarde la tragédie et la comédie comme des leçons de vertu, de raison et de bienséance. Corneille, ancien Romain parmi les Français, a établi une école de grandeur d’âme, et Molière a fondé celle de la vie civile. Les génies français formés par eux appellent du fond de l’Europe les étrangers qui viennent s’instruire chez nous et qui contribuent à l’abondance de Paris. Nos pauvres sont nourris de ces ouvrages qui nous soumettent jusqu’aux nations qui nous haïssent ; tout bien pesé, il faut être ennemi de sa patrie pour condamner ses spectacles. » Heure brillante d’un théâtre que Voltaire illustra de son nom ! Puis viennent les comédies de Destouches, de Lesage, de Sedaine, et les opéras de Grétry. Le premier empire vit les belles soirées de Talma, la restauration et le règne de Louis-Philippe eurent les splendeurs du romantisme et ce grand élan musical dont le souvenir ne se perdra point. Quant au second empire, nous n’entendons ici dénigrer personne, mais il nous sera bien permis de dire que ce qu’au théâtre il eut parfois de littéraire et d’excellent, les comédies de M. Emile Augier, de M. Jules Sandeau et de M. Octave Feuillet par exemple, procédait plutôt de la génération antérieure et contemporaine d’Alfred de Vigny et d’Alfred de Musset. En musique, Meyerbeer définissait d’un mot cette période et l’art qu’on y tenait le plus en honneur : « ces gens-là, disait-il, n’aiment que la ronde des Filles de marbre ! »

Les rieurs nous répètent sur tous les tons que cette musique a fait le tour du monde, que les Autrichiens, les Russes, les Anglais, s’en amusent, la paient à prix d’or, et n’en sont pour cela pas plus corrompus. C’est alors apparemment que nous en aurons gardé tout le poison pour nous. D’ailleurs les conditions ont-elles rien qui se ressemble ? Les étrangers n’assistent qu’à des adaptations. Ils n’ont, eux, que des dilutions, tandis que nous avons la teinture-mère où fermente le principe vénéneux. C’est par ce qu’elle a de correspondant à certains vices de notre organisme que cette musique nous affecte particulièrement. Pour qu’il y ait danger à éveiller, à surexciter certains instincts, il faut que, ces instincts existent. Cet art dont nous parlons, — pièces et musique, — le succès l’a rendu cosmopolite ; mais il n’est devenu national que pour nous, — triste privilège dont nous portons et porterons longtemps la peine. Les Anglais, les Autrichiens, les Russes, ne courent aucun risque à se divertir de tous ces beaux spectacles. Ce n’est ni leur esprit, ni leur langue qui se galvaude. Ils s’amusent, et à nos dépens, double satisfaction, — et quand ils ont assez ri pour se croire obligés de faire une démonstration morale, ils haussent les épaules de pitié en murmurant : — Oh ! ces Français ! « Qui de nous, voyageant, n’a entendu