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les rayons colorés qui viennent impressionner l’œil partent non point d’une surface unie comme une plaque métallique, mais de plans étages dans la profondeur translucide des chairs. De là cette variété « de roses et de lis » suivant que le sang circule plus ou moins abondant sous la peau ; de là ces veines bleues, qui ne sont que fausse apparence, car le sang y est rouge, comme le montrent les saignées ; c’est le propre de la peau de bleuir les tons foncés qu’on regarde à travers elle : l’encre de Chine des tatouages donne un dessin bleu, les yeux bleus ne doivent leur nuance qu’au pigment brun qui tapisse l’autre face de l’iris, les muscles mêmes vus sous la peau donnent cette tache bleuâtre du cou-de-pied bien connue des peintres.

La nature chimique du pigment est encore peu connue. On sait que le soleil en favorise le développement dans les taches de rousseur, le hâle. L’âge l’enlève des cheveux, où il fait place à de très petites bulles d’air ; c’est ainsi qu’ils se décolorent chez le vieillard. Le blanc éclatant des plumes est dû de même à de l’air qui les remplit. L’âge, la domesticité, amènent cet effet chez beaucoup d’oiseaux et de mammifères. Chez d’autres espèces, les plumes ou les poils blanchissent tous les ans avant de tomber et se renouvellent. C’est l’histoire de l’hermine : au printemps, la toison qu’on recherche, et qu’elle a eue tout l’hiver, fait place à une robe fauve dont les poils, vieux déjà au bout de quelques mois, deviendront blancs à l’automne.

Les romanciers s’accordent avec nombre d’historiens à dire que parfois les cheveux de l’homme ont blanchi en une nuit sous l’influence de la terreur ou d’un chagrin extrême. Il paraît aujourd’hui certain que quelques heures suffisent en effet pour que les cheveux se remplissent de ces parcelles d’air et prennent leur ton de neige. Des observations minutieuses faites par un éminent physiologiste, M. Brown-Séquard, sur lui-même, ne laissent plus aucun doute ; quand le moment est venu, il suffit de moins d’un jour pour qu’un poil de barbe devienne blanc. La médecine moderne, de son côté, n’a pas été sans enregistrer un certain nombre de cas de canitie subite ou au moins survenue dans l’espace de quelques heures, et ordinairement sous l’influence d’une grande émotion. Bichat en avait rapporté plusieurs exemples. Le docteur Cassan a fait connaître l’histoire d’une dame Leclère, qui fut citée devant la chambre des pairs pour déposer dans le procès de Louvel, et qui en éprouva une perturbation morale si grande que dans l’espace d’une nuit ses cheveux blanchirent complètement. Enfin nous avons une observation beaucoup plus décisive et intéressante entre toutes du docteur Parry, chirurgien-major à Aldershott, aux Indes. Il s’agit d’un cipaye révolté pris par les troupes anglaises, et qu’on