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séparément ou combinées, pour nous donner cette prodigieuse gamme de nuances qui parent le monde animé, et dont on peut dire qu’aucune n’y fait défaut, pas même le noir, qui n’existe point ou du moins se montre très rare chez les végétaux, et qui est au contraire fréquent dans le règne animal.

Beaucoup de substances vivantes ont par elles-mêmes une couleur propre. La cause de la coloration est alors dans l’arrangement moléculaire, c’est dire qu’elle nous échappe absolument. La chair du bœuf est rouge, comme le soufre est jaune, ou bleu le sulfate de cuivre ; mais toutes les substances organiques ne sont pas nécessairement colorées : il en est d’aussi limpides que le diamant, et qui offrent sous les plus forts grossissemens du microscope une transparence absolue, quoique jouissant des attributs les plus élevés de la vie, la sensibilité et le mouvement. En général, les teintes les plus vives que présentent les animaux ne sont point liées directement à la constitution moléculaire des tissus : tantôt elles viennent d’un phénomène analogue à celui par lequel les minces parois de la bulle de savon étalent leur iris, tantôt elles sont dues à des matières spéciales, indépendantes en quelque sorte, appelées pigmens, qui s’ajoutent à la substance organique et dont on peut les séparer. Nous ne faisons pas autre chose pour nous procurer le carmin, qui est le pigment de la cochenille ; on peut extraire de même le rouge du sang et le recueillir en cristaux d’une belle couleur pourpre, à part des autres substances animales auxquelles il est uni.

Le fard, la poudre elle-même, ne sont pas des moyens inconnus dans la nature. Sans parler de cette poussière que laisse aux doigts l’aile froissée des papillons, il y a des oiseaux, tels que le grand cacatoès blanc, qu’on ne peut toucher sans se blanchir les mains. Nous avons entendu un naturaliste voyageur conter son étonnement de voir, un jour qu’il pleuvait, ses mains toutes rougies par les plumes détrempées d’un oiseau d’Afrique qu’il venait de tuer. Pourtant le cas le plus ordinaire est que le pigment, et c’est là qu’il mérite surtout son nom, existe dans la profondeur même des tissus, réduit en particules très fines pour nos yeux, mais dont le microscope mesure les dimensions. Rares et clair-semées, elles n’influent pas facilement sur la couleur du tissu ; nombreuses et rapprochées, elles lui communiquent leur nuance. Telle est l’origine de la couleur du nègre. Dans cette couche délicate de la peau que laisse à nu l’épiderme soulevé par une brûlure légère, on trouve chez l’homme noir une grande abondance de pigment brun. La coloration est toute superficielle. Aussi la peau du nègre ne diffère pas seulement de celle de l’Européen par le ton, elle manque de cette exquise qualité de transparence propre seulement aux races blondes. Chez celles-ci,