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LA
MUSIQUE FRANCAISE
UN MOT SUR SON PASSE ET SON PRESENT

L’année qui vient de s’écouler a vu s’engloutir chez nous tant de choses, qu’on peut se demander si nos arts n’auront point aussi disparu dans le naufrage. Les prochaines expositions nous feront voir ce que la peinture sera devenue ; quant à ce qui regarde la poésie, le théâtre, la musique, il nous faut également attendre. Les nations, pas plus que les individus, ne produisent sous le coup du malheur ; une période morale est nécessaire pour se reconnaître, se retrouver, et ce n’est qu’avec le temps que d’une situation exceptionnelle se dégage un sentiment nouveau. Ce mode d’expression, nous ne le possédons pas encore : non invenimus verba quibus deberemus loqui. Nous n’en sommes qu’aux jours de confusion et de malaise dans la stupeur. Le vieil éclat de rire d’autrefois n’en veut absolument pas démordre, sans s’apercevoir de ce que son effronterie a de macabre désormais pour le cœur des honnêtes gens. Par contre, les rimeurs d’élégies et les symphonistes de la première heure, saisissant aux cheveux l’occasion, remplissent les airs de leurs strophes et de leurs lamentos. Nulle part plus que chez nous le sable n’encombre le rivage, nulle part n’abondent davantage les coquilles vides où l’huître manque. Ceux qu’en littérature, en musique, nous appelons nos coryphées forment à Paris un groupe des plus complexes, et n’ont guère entre eux de commun qu’une personnalité dévorante, fort divisés qu’ils sont d’ailleurs et de tendances et de principes, lorsqu’il leur arrive d’en avoir. D’un pareil monde, usé par la routine du succès, il n’y a point à espérer beaucoup ; il continuera au lendemain de nos désastres la besogne qui