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nord-ouest de L’hassa, le Vatican du lamaïsme, le chef suprême de l’église lamaïque n’est plus qu’un vassal du Céleste-Empire. Un moment la théocratie bouddhiste a pu croire qu’elle s’emparerait des Mandchoux, quand le fondateur de la dynastie montra tant de zèle pour le bouddhisme et pour le monachisme ; mais le mépris des hommes d’état de la Chine pour les moines a prévalu, et, sous prétexte de le protéger, le « maître sublime » se sert du talé-lama comme d’un instrument pour maintenir l’autorité de l’empire en Mongolie et pour rendre définitifs les résultats des victoires de Kang-hi sur les Mongols. Depuis 1792, le délégué chinois qui réside à L’hassa est l’arbitre des destinées du Thibet.

On se demande quelle aurait été la destinée de l’Asie, si Jean du Plan de Carpin, légat du saint-siège, avait été aussi heureux que Sod-Nam-Dschamtso. Ceux qui ne voient dans l’histoire des peuples qu’un concours de circonstances fortuites peuvent bâtir sur cette idée les hypothèses les plus ingénieuses ; mais, tout en faisant la part des conjonctures dans la vie des nations comme dans celle des individus, on peut affirmer que les tendances originaires finissent tôt ou tard par l’emporter. Le christianisme n’a jamais eu forte prise sur les populations de race jaune. Il n’en est pas de même du bouddhisme qui, né parmi les Aryens comme la religion chrétienne parmi les Sémites, n’a pu prospérer chez eux, et qui a été si bien accueilli parmi des peuples qui n’ont pas reçu le don des créations religieuses, mais qui peuvent seulement s’assimiler celles qui sont le plus conformes à leurs inclinations. La race blanche, douée d’un instinct supérieur, est dans ses deux grandes fractions toujours attachée à ses conceptions favorites. Les Sémites (Juifs et Arabes) sont restés fidèles à la religion de Moïse, au dogme du « Dieu jaloux » et solitaire, dont l’islamisme n’est qu’un développement. Quant aux Aryens, ils préfèrent, en Europe comme dans l’Inde, une religion dont la doctrine de l’incarnation est le principe essentiel. Ils tiennent à échapper également au gigantesque athéisme bouddhique et au monothéisme sémitique, lequel met le gouvernement du monde dans les mains d’un émir suprême qui n’a pas plus besoin de dévas associés à son œuvre que de saints capables d’exercer par leur intercession une influence réelle sur sa volonté infaillible et redoutable.


DORA D’ISTRIA.