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(koumiss, boisson produite par la fermentation du lait des cavales). « Cependant, ajoute mélancoliquement Rubruk, ils disaient que ce mort avait été baptisé. » On voit que le résultat des tentatives d’assimilation était bien loin d’être complet lorsque les Mongols arrivèrent.


II

Le moyen âge a dû aux grands voyageurs italiens du XIIIe siècle la connaissance du peuple étrange qui sembla prédestiné à faire disparaître dans l’Europe orientale la race aryenne et la civilisation chrétienne. Normands et Magyars s’étaient rangés sans beaucoup de peine dans la grande famille que gouvernait le pape. On pouvait entrevoir le jour où les Mores, accablés dans la mémorable journée de Tolosa (1212), quitteraient le sol de l’Espagne, où ils ne conservaient plus que les royaumes de Cordoue et de Grenade. L’épée des Français du nord avait exterminé les albigeois insurgés contre la papauté. Les successeurs de Grégoire VII travaillaient à transformer en simple vassal le chef du saint-empire. Les dominicains et les franciscains, nouvelle milice monastique, semblaient prêts à conquérir les contrées qui avaient conservé quelque indépendance religieuse. Quant au « schisme grec, » il avait cessé d’inspirer de l’inquiétude depuis qu’un empire latin s’était établi à Constantinople. Telle était la situation lorsqu’on apprit à Rome qu’une nation inconnue, aussi nombreuse que les hordes d’Attila, aussi féroce que les sujets des kha-khans avars, aussi impétueuse que les Magyars marchant avec Arpad à la conquête de la Pannonie, et qui semblait, ainsi que le dit énergiquement Rubruk, appartenir à « un autre monde, » se dirigeait vers l’Occident, promenant Le fer et le feu dans les pays qu’elle parcourait, comme si elle eût voulu faire du monde « une steppe surmontée d’une tour. » Innocent IV et Louis IX n’étaient point d’un caractère à s’effrayer des plus grands périls. Innocent était de cette fière famille des Fieschi, dont le souvenir vit toujours à Lavagna. Les habitans de la Rivieradi Genova, parmi lesquels Sinibaldo de’ Fieschi avait vu le jour, étaient familiarisés avec les prodigieuses péripéties du monde oriental ; leurs hardis marins avaient depuis longtemps porté l’étendard de Gênes dans ces lointaines contrées. Innocent s’imagina qu’il pouvait transformer les Mongols, ces loups ravissans, en brebis dociles du saint-siège ; il voulut en même temps profiter du triste état dans lequel la conquête avait fait tomber l’église grecque en Russie pour achever le « schisme, » déjà vaincu en Grèce.

Les cardinaux, diplomates ordinaires de la papauté, ne semblaient