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un caractère plus significatif. Il ne s’agit plus uniquement d’assurer la prédominance d’un peuple sur un autre, il faut conquérir au christianisme l’antique Scythie, qui avait si obstinément résisté à la civilisation aryenne, représentée par la Perse et par la Grèce. La veuve d’Igor, la régente Olga, baptisée sous le nom d’Hélène, s’était déjà prononcée pour l’église grecque, sans avoir pu transformer le belliqueux Sviatoslav en nouveau Constantin, sans avoir pu faire un disciple du « prince de la paix » de l’adorateur du terrible Peroun, armé de la foudre vengeresse et avide, du sang des victimes humaines ; mais, dit le dévot chroniqueur, sainte Olga « fut en Russie comme le présage du christianisme, comme l’étoile du matin, comme l’aurore qui annonce la lumière. Elle répandit le même éclat que l’astre des nuits, et brilla au milieu de ses compatriotes incrédules, comme une perle brillerait dans un monceau d’ordures. » Vladimir le Grand fut à la fois le Clovis et le Charlemagne de la Russie : comme le roi frank, il brûla ce qu’il avait adoré ; comme le restaurateur de l’empire d’Occident, il se préoccupa fort peu du choix des moyens pour propager la religion qui avait eu l’approbation de son aïeule Olga, « la plus sage des mortelles, » disaient ses boyards.

Le XIe siècle, qu’on a nommé en Occident un siècle de fer, a été au contraire pour la Russie une ère de progrès, puisque le stérile paganisme des Slaves fut remplacé par une religion supérieure, et que la suprématie de la race aryenne semble assurée par la défaite des Petchenègues, la soumission des Tchoudes (Finnois) et la fondation d’Iouriev (Dorpat) sur leur territoire, sous le règne d’Iaroslav. De même qu’on voit les héros de la Gerusalemme liberata redouter surtout les enchantemens des Sarrasins, les Russes craignaient moins la valeur des populations finnoises que leur habileté consommée dans les arts magiques et leur talent à deviner l’avenir, qu’ils devaient à leurs relations avec de « noirs esprits ailés. » L’art des nécromanciens, qu’on allait surtout consulter en Esthonie, et qui ressemblaient assez aux chamans des Mongols, ne résistait pas à l’argument dont se servit à Novgorod, dans une occasion solennelle, le prince Gleb contre un de ces sorciers, qui, insultant le christianisme, prétendait passer le Volkov à pied sec. — « Tu mens, » s’écria le kniaz, et il lui fendit la tête d’un coup de hache. Pendant longtemps encore, nous verrons pourtant le peuple russe subir l’influence du milieu ; le christianisme n’était qu’un germe que le temps seul pouvait développer.

Le XIe siècle ne s’était point écoulé qu’une nouvelle invasion de nomades, plus terrible que toutes les autres, devait remettre en question l’existence même de l’empire que saint Vladimir venait