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ceux qui se présentent le plus naturellement sont les services d’approvisionnement et de consommation. On a vu à quel régime de concentration ils sont soumis. Fictivement, les entrées et les sorties devraient se balancer sans excédant, les prix de ventes couvrir les prix des achats, accrus seulement des frais. En réalité, il en est autrement. Ces opérations commerciales composent une partie essentielle des ressources de l’entreprise. Il y a bénéfices et bénéfices avoués, non pas tant, comme on pourrait le croire, sur l’alimentation que sur les autres fournitures. Pour l’alimentation, à peine gagne-t-on en temps ordinaire, on perd même dans les périodes de renchérissement : deux motifs y contribuent, le ménagement des ressources de l’ouvrier, l’insuffisance des chefs de service. Qu’on y ajoute les tâtonnemens d’un début, et on aura l’explication de ces mécomptes. Tel quel, le résultat laisse cependant une marge très satisfaisante. « Le familistère, dit M. Godin, a fait jusqu’ici un chiffre d’affaires sensiblement égal aux émolumens et aux salaires de la population qu’il contient. » En d’autres termes, ce que d’une main on a payé aux ouvriers, on le reprend de l’autre. Pour plus de précision, voici les chiffres déclarés. Le chiffre brut reste sous-entendu ; le chiffre net est de 45,000 francs, dont on a déduit une somme à peu près égale qui représente l’éclairage des magasins, l’entretien des services, du mobilier, l’amortissement du matériel pour 15,000 francs, les appointemens et salaires des personnes attachées à la comptabilité, aux débits et aux magasins pour 26,000. Restent donc 45,000 francs de profits, passibles, il est vrai, d’une réserve très illusoire de 10,000 francs, pour que le familistère, dit la mention à l’appui, soit toujours maintenu à l’état neuf. Évidemment, c’est là un luxe de précautions dont les comptes auraient pu se passer. La gestion étant ce qu’elle est, le gérant ne fait rien qu’un prélèvement sur lui-même et une évolution d’écritures.

Tout est d’ailleurs ainsi dans la comptabilité. Comme au fond le maître du familistère n’a point en face de lui de contrôle sérieux, il en varie les modes à son gré. Pour les caisses de prévoyance, c’est à la bourse des sociétaires qu’il s’adresse ; il a établi dans ce dessein une cotisation moyenne de 1 fr. 50 par mois, ce qui produit une somme de 900 francs, auxquels il ajoute une somme égale de 900 francs ; c’est 1,800 francs par mois et 21,600 francs par an. Avec ces ressources, il assure à l’ouvrier la visite du médecin, un subside de 1 franc à 5 francs par jour pendant la maladie, la fourniture des médicamens et des douceurs dans le régime pendant la convalescence. Ces cotisations et ces secours sont d’ailleurs réglés par des comités électifs. Voilà donc une institution de plein essor et qui échappe à l’œil du maître. Les écoles au contraire dépendent