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consommer, trop négligé, dit-il, est au moins l’équivalent de l’art de produire. Il y faudrait, pour bien faire, employer les mêmes méthodes. Chaque jour, on arrache à l’empirisme quelque détail de l’art de produire ; il serait temps d’agir ainsi pour l’art de consommer. Du petit atelier on est arrivé au grand atelier, pourquoi n’appliquerait-on pas cette marche à la consommation domestique ? Or le premier pas dans cette voie est la réforme de l’habitation. L’histoire et le récit des découvertes nous disent comment l’homme, livré à ses instincts, y a procédé. C’est la caverne d’abord, puis la tanière, puis la hutte ; pour rendre ces objets sensibles, M. Godin prodigue des figures à l’appui de son texte ; la hutte du Lapon construite en blocs de neige, les huttes en pierre des îles de Pâques et des Canaries, les huttes en perches des Taïtiens et des Australiens, les habitations des Germains, « dont les pieux étaient entourés de cercles de fines perches liées de harts aux poteaux qui servaient à fixer le chaume et le mortier, composé de foin et d’argile, dont les murs étaient revêtus. » Viennent ensuite, avec le même luxe d’érudition, le château féodal et les maisons des serfs, vivant contraste qui inspire au fondateur du familistère uns sortie assez vive, — la ville du moyen âge aux rues étroites et sans alignement, « réceptacle fangeux des détritus industriels et des eaux ménagères, c’est-à-dire autant de foyers d’infection redoutables au point qu’il ne restait plus quelquefois de vivans pour enterrer les morts. » C’est le revers de la médaille ; voici l’endroit. La commune rurale s’est affranchie, et déjà un air d’aisance y règne. La tuile et l’ardoise chassent peu à peu le chaume, les rues s’alignent, l’église, la mairie et l’école s’élèvent ; c’est déjà plus décent. Les chefs d’industrie se piquent d’honneur et tirent peu à peu leurs ouvriers des repaires enfumés où ils végètent. M. Godin est ici sur son terrain, et naturellement il a une mention pour tous les essais qui ont précédé le sien. À ses yeux, les intentions ont été partout excellentes ; seulement il y a eu méprise évidente dans le procédé. À l’envi et par une sorte d’imitation servile, on a préconisé la petite maison et le petit jardin. C’est le cas pour les maisons ouvrières du Grand-Hornu, des Corons du Nord, pour celles d’Anzin, celles de Mulhouse et celles d’Anvers, où logent des journaliers ruraux. L’effet, dit le fondateur du familistère, a été manqué. Sans doute la première impression, l’apparence, étaient pour ce choix. Une petite maison, un petit jardin, doivent être l’objet des rêves de celui qui n’a rien ; voilà ce que tout le monde dit et répète. M. Godin attaque très vertement ce qu’il tient pour un préjugé de la part du public et un désir irréfléchi de l’ignorance de la part des intéressés. C’est avec un coup d’œil plus sûr et une observation plus attentive qu’il veut examiner la question.

Ce qui d’abord le frappe, c’est ceci : l’expérience des petites