Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/779

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les nouvelles de France. Je viens de recevoir le récit que tu me fais des derniers événemens. La comédie a fait place au drame, et peu s’en est fallu que tu n’aies péri au dénoûment.

En vérité, l’aventure est un peu folie, et, puisqu’enfin tu t’en es tiré sain et sauf, permets-moi d’en rire à mon aise. Tu ne t’attends pas, je suppose, à ce que je m’attendrisse sur le sort de tes funestes amis et sur la fin tragique de ta Fidelis : quelque soin que tu aies pris de l’idéaliser, il n’en reste pas moins vrai qu’elle était de la sinistre bande, qu’elle avait part dans les profits et par là même dans les crimes de la commune. Qu’elle n’ait pris d’ailleurs ni la torche ni le fusil, cela importe guère, pure affaire de tempérament ! Elle n’en trouvait pas moins dans l’antre du monstre « bon souper, bon gîte, et le reste. » Elle a su mourir, c’est le seul acte tolérable de sa vie. Que la terre lui soit légère !

Mais de grâce, mon cher Hermann, laisse-moi me divertir quelque peu à ton sujet. Est-ce bien toi vraiment, toi, l’homme prudent et réfléchi, qui t’es laissé prendre au Père-Lachaise, avec les insurgés, comme un rat dans une ratière ? Est-ce bien toi, l’homme sage, avisé par excellence, qui t’es fait berner par une Circé de boulevard ? Est-ce bien toi, le plus économe et le plus rangé des professeurs de grec, qui as jeté sous ses pas les louis d’or de ta bourse et les florins de la Prusse ? L’épopée finie, te voilà maintenant redevenu Hermann Schlick, comme devant.

Par bonheur, il te reste ta vertu, car vous autres, Allemands de la Prusse, vous avez cette rare bonne fortune, — à défaut d’autre, — de demeurer vertueux dans les occasions où le commun des mortels cesse de l’être. Quand un homme met dans sa poche la bourse de son voisin, il est jugé : c’est un fripon ; s’il dépouille son hôte, c’est un rare gredin. Si quelque Français se livre aux voluptés faciles, c’est un débauché ; s’il courtise une femme mariée, c’est un fils de Bélial… Vous autres, Allemands de la Prusse, vous faites toutes ces choses et beaucoup d’autres encore, et vous n’en êtes que plus vertueux — d’après ce précepte sans doute de l’apôtre, « que tout est pur pour les purs. »

Aussi je m’attends à te voir reprendre bientôt sans hésiter ta place parmi les saints de Berlin et l’implacable sévérité qui sied à tant de vertu ; mais, ô mon ami Schlick, mon bon camarade, permets-moi de rire un peu quand nous nous rencontrerons tête à tête, et que, les coudes sur la table, nous nous raconterons à huis-clos nos petites équipées de jeunesse. J’ai pour mon compte lutiné quelques bergères sur les bords enchantés de notre vieux Rhin ; j’ai commis là plus d’un joyeux larcin dont j’avais, sur ma foi, gardé quelque remords. Depuis notre annexion salutaire au saint empire d’Allemagne, je me sens allégé de ces peccadilles, car c’est un sort