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démocrates, à MM. Michelet et Quinet, qui, parlant du sein même du sanctuaire, ont une autorité privilégiée pour condamner et combattre ces doctrines malsaines et sophistiques.

Ce qui est évident aujourd’hui pour tout le monde, c’est que la guerre faite à ce qu’on appelle l’individualisme, c’est la guerre à la liberté, et que cette guerre ne peut en rien profiter au progrès de la fraternité parmi les hommes, mais se fait au profit du despotisme. Ce qui est évident encore, c’est que l’association du terrorisme et de la fraternité est une association monstrueuse, et qui ne sera pas moins odieuse parce qu’elle se fera au nom de la démocratie au lieu de se faire au nom de l’église. Tuer les hommes par amour de l’humanité est un scandaleux défi à la conscience humaine. On ne doit pas reprocher sans doute à M. Louis Blanc d’avoir approuvé le terrorisme comme système, car il proteste plus d’une fois contre ce système, et il combat avec énergie le principe du salut public. Il n’en est pas moins vrai cependant que les terroristes, suivant lui, sont les seuls qui représentent l’idée de la révolution, et qu’elle a rétrogradé dès qu’ils ont été vaincus. Son idéal n’en est pas moins une démocratie égalitaire et autoritaire, niveleuse et despotique, distribuant à tous le pain quotidien, un couvent profane, n’ayant pas même les consolations du couvent religieux, à savoir l’espoir d’un autre monde et d’une vie meilleure. Ce rêve abstrait, né à la fois de la sophistique et de l’imagination, cet esprit d’utopie, d’où naissent les haines de classes, a fait à notre pays les plus cruelles blessures, et, tout en respectant les intentions de l’auteur, on ne peut s’empêcher de le considérer comma l’un des rêveurs les plus funestes de notre siècle.

Nous n’aimons pas à croire qu’un écrivain se soit absolument trompé, et nous sommes de ceux qui accordent volontiers avec l’auteur une place à la fraternité dans l’ordre social et politique. Nous saurions donc gré à M. Louis Blanc et à son école d’avoir revendiqué ce principe, de l’avoir rappelé à des générations trop matérialistes, et en partie aux classes lettrées et aisées, auxquelles les avantages dont elles jouissent dans la société en font particulièrement un devoir ; mais l’usage que M. Louis Blanc fait de ce principe en détruit toute la vertu, car entre ses mains il devient un principe de haine au lieu d’être un principe d’union. Tout effort, quel qu’il soit, pour éviter les inconvéniens bien connus de la démocratie, lui est une preuve de haine et de mépris contre le peuple ; tout effort pour garantir le droit de ceux qui possèdent lui est une spoliation de ceux qui ne possèdent pas. Interpréter de cette manière la révolution française, méconnaître les efforts prodigieux qu’elle a faits pour assurer les droits et le bien-être du plus grand