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Je lui racontai notre première rencontre au club, et elle rit à belles dents à l’idée que j’aurais pu, grâce à elle, être mis en pièces ; puis elle redevint sérieuse à la pensée que mes présens se seraient engloutis avec moi dans une fosse. — A quoi tiennent les choses de ce monde ! s’écria-t-elle avec un soupir, et dire que bien des gens prétendent qu’il n’y a rien là-haut !

J’appris dans la conversation que le capitaine Magelonne ne rentrerait que fort tard, étant ce soir-là chargé de la présidence de je ne sais quel mystérieux congrès. Je m’enhardis jusqu’à inviter à dîner la belle Fidelis, qui accepta fort obligeamment, et je passai près d’elle une soirée délicieuse.

Je ne te dirai pas ce qu’il m’en coûta, car les bienfaits du ravitaillement ne se font point encore sentir, et tu serais effrayé de ce qu’il faut d’argent pour se rendre agréable, d’autant plus que ma jeune amie semble fort indifférente aux considérations de cet ordre, et qu’elle prend sans doute Hermann Schlick pour un banquier inépuisable. Je la reconduisis jusqu’à sa porte, où elle me congédia avec infiniment de grâce, en m’encourageant à revenir souvent ; malheureusement mes modestes ressources ne suffiraient pas à satisfaire les caprices de cette charmante personne, et le plus sage sera donc de me tenir à distance.

Voilà toute l’aventure ; conviens qu’elle ne justifie pas les alarmes de Dorothée, ni l’indignation de sa mère, ni les malédictions de la dynastie entière des Schaunitz. S’il y a des gens qui s’obstinent à découvrir des montagnes dans les nuages, je n’y peux rien.

HERMANN A BALTHAZAR.

Montmorency, 6 mars.

Eh bien ! nous n’entrons point à Paris ! On s’est contenté d’envoyer timidement quelques milliers d’hommes camper deux jours et deux nuits dans un petit coin de la ville, et les Parisiens pourront se vanter éternellement d’avoir intimidé l’armée victorieuse. La garde nationale est restée en armes autour de nous, avec ses canons braqués sur le sommet des buttes Montmartre. Ne dirait-on pas qu’elle traite avec nous de puissance à puissance ? En revanche, les soldats désarmés ont été soumis aux plus dures conditions du vainqueur. Cela fait peine de voir ces braves gens, qui se sont si bien battus, ces jeunes mobiles dont l’élan a plus d’une fois fait reculer nos vieilles troupes, passer tristes, humiliés, abattus, et traîner le long des rues leur désœuvrement irrité, tandis que les gardes nationaux paradent effrontément à leurs côtés avec leurs fusils et leurs galons et leurs insolentes bravades… Il semble qu’on ait pris plaisir à dresser des arcs de triomphe aux Parisiens avec les fourches caudines sous lesquelles passait l’armée !