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de vos admirateurs. Je n’ai pas une grande fortune ; cependant, si je pouvais vous être utile, je suis tout à votre service.

Il m’avait regardé avec attention pendant que je parlais. — En vérité, dit-il en souriant, vous avez de l’argent ! Eh bien ! mon cher, vous êtes un phénomène. Prêtez-moi cinq louis ; les temps sont durs, et la république est une maigre nourrice !

Il se hâta d’enfouir dans sa poche les cinq pièces d’or que je lui tendais, enfonça son képi sur sa tête, et sortit sans plus de cérémonie…

Resté seul, je frappai discrètement à une porte ; ne recevant aucune réponse, j’ouvris et j’entrai. Mon premier regard rencontra Fidelis, qui, debout devant la cheminée, les yeux fixés sur la glace, semblait méditer profondément sur l’effet d’un chapeau surmonté d’un grand panache vert, dont la forme et les dimensions l’inquiétaient sans doute. — C’est un cèdre du Liban que ce panache ; quelle idée tu as eue d’acheter cela pour moi !

— Madame,… dis-je timidement.

Elle se retourna. Je la saluai avec tous les dehors d’un profond respect en lui présentant ma carte. — L’homme aux bourriches ! Ah ! monsieur, que je suis aise de vous voir ! s’écria-t-elle. Asseyez-vous donc ; prenez ce fauteuil. Sonora, cédez la place !

La vilaine petite bête qui répondait au joli nom de Sonora n’abandonna pas la place sans protester. Tandis que Fidelis s’efforçait de rallumer deux tisons de bois vert isolés dans les cendres de la cheminée, je jetai un coup d’œil autour de moi. La pièce où nous étions, vraie chambre garnie d’étudiant, témoignait d’une aisance médiocre et d’un immense désordre. Mes yeux revinrent à Fidelis. Sa toilette était en rapport avec ce qui l’entourait : une robe de soie fanée et un tartan anglais à carreaux verts et bleus faisaient toute sa parure. Son teint se ressentait un peu du grand jour et du froid qui régnait dans la chambre ; pourtant il gardait encore une certaine délicatesse que faisaient ressortir la nuance sombre de ses vêtemens et la couleur éclatante de sa chevelure. Elle me parut toujours jolie, et mes yeux, qui suivaient ses mouvemens, s’arrêtèrent avec admiration, au moment où elle s’assit en face de moi, sur un petit pied élégamment chaussé d’une pantoufle écarlate ; le bas, d’une finesse transparente, s’ajustait sur la jambe ronde avec la précision et le moelleux éclat du marbre. Cette vue me remit brusquement en mémoire certains souliers à lacets que j’avais contemplés, non sans attendrissement, aux pieds de Dorothée un jour que je la vis accourir à ma rencontre et descendre l’escalier tournant qui conduit à sa chambre. Pauvre Dorothée ! la comparaison faillit me rendre ingrat envers le passé. — A quoi songez-vous donc ? demanda Fidelis étonnée de mon silence.