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ces traits ravagés par l’angoisse, le jour où je l’avais vue, à travers la brume, passer comme une apparition légère, avec ses airs tendres et coquets… Était-ce bien la même femme que je retrouvais là, seule, sur un champ de bataille, au milieu des soldats, ne s’inquiétant guère de cacher sa douleur, ni le secret de ses larmes ! Elles savent donc aimer, ces frivoles Françaises ! Il y a donc un cœur sous ces riches parures ! Pauvre Valentine ! pauvre capitaine !

DOROTHÉE A HERMANN.

30 janvier.

La paix est signée ; gloire à Dieu et à la grande Allemagne ! La paix est signée ! Chacun répète la nouvelle sans oser encore y croire ; pourtant les dépêches sont officielles. On s’embrasse, on se félicite ; tous nos amis sont venus m’apporter leurs complimens. Ta vieille nourrice prépare déjà les gâteaux de fête. La joie est partout, — dans mon cœur excepté… J’ai peur, je ne sais pourquoi, et je mêle mes larmes à celles des veuves et des orphelins… Reviendras-tu tel que tu étais au départ, aussi fidèle, aussi aimant ? Tout me dit que tu as changé, — tes lettres si rares, si froides, ce ton distrait, en quelque sorte dégagé du passé, et, plus que tout encore, tes voyages fréquens à Paris et les plaisirs que tu trouves dans cette ville maudite… Se pourrait-il que ces poupées de France te fassent oublier ta fidèle amie ? Nous ne savons pas en Allemagne, il est vrai, nous ajuster avec un art si parfait, ni plaisanter agréablement sur les plus graves questions, ni promettre tant de choses en accordant si peu.

Je ne voulais t’envoyer qu’un cri de joie et d’espérance ; ce n’est pas ma faute si l’amertume de mon âme déborde malgré moi… Ma mère s’inquiète ; elle est fort irritée contre toi. Toute la famille est indignée, et te juge sévèrement. Je t’en prie, rassure ta pauvre Dorothée ; que ta prochaine lettre rende la joie à mon cœur, qu’elle soit le rameau d’olivier que la colombe apporta dans l’arche. Je ne demande qu’à croire, à être heureuse, à t’aimer.

HERMANN A DOROTHÉE.

Montmorency.

J’ai changé de garnison, et n’y ai point perdu ; la forêt est charmante, et depuis l’armistice nous recevons ici les plus aimables visites. La vie n’est point trop triste fort heureusement, car je prévois que notre station sous Paris ne touche point à sa fin. Ne vous hâtez donc pas de préparer les gâteaux de fête ; une partie de l’armée seulement rentre en Allemagne, et tout me porte à croire que je ne serai pas des premiers rapatriés. Vous me ferez un crime sans doute, vous autres, de ce peu d’empressement, mais en