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victoire. La chose nous est malheureusement nouvelle, et nous montrons partout ce que nous ne sommes que trop en réalité, des parvenus de la victoire. — On devrait sans doute pour leur plaire demander humblement des leçons de grandeur d’âme à la France. Tant d’impertinence révolte à la fin ; je ne reverrai de ma vie cette Virginie Flock, dont le langage, il faut l’avouer, trouve plus d’un écho en Europe et dans l’Allemagne elle-même.

Cher Hermann, la petite Lischen voudrait bien un cadeau de France ; je te prie de ne pas l’oublier. Je ne te demande rien pour moi, ton amour me suffit. Pourtant toutes mes amies sont comblées par leurs maris ou leurs fiancés… La fille du professeur Schrimm a reçu de son frère Rodolphe un trousseau complet et des robes dignes d’une princesse, le tout un peu étroit pour sa taille, qu’elle a fort large, mais elle n’en est pas moins fière. Chaque membre de cette heureuse famille a déjà une grosse part de butin : un piano pour le professeur Schrimm, des literies pour la mère, des bijoux pour la plus jeune fille. Vraiment Rodolphe Schrimm est un garçon d’esprit et de cœur ; il sait ce qui convient à chacun et n’oublie personne. Tout le monde serait fier d’avoir un pareil fils. Lisbeth Turner, qui l’avait rebuté jusqu’à ce moment, vient de lui envoyer par le dernier courrier un anneau de fiançailles avec une lettre d’amitié.

Le jour baisse, ô mon Hermann, il faut que je te quitte, que je rentre dans mon deuil et mon veuvage. Les larmes coulent sur mon visage quand je pense à toi, quand je prononce ton nom, qui s’échappe involontairement de mes lèvres comme la respiration naturelle de mon cœur. Il faut te quitter, rompre pour aujourd’hui ce faible lien que ma plume noue entre ta pensée et la mienne. Hermann, cher Hermann, plaise à Dieu que tu reviennes vite et que les jours de notre douleur soient enfin comptés !

HERMANN A DOROTHÉE.

18 octobre.

Le canon tonne autour de nous ; les obus s’abattent avec leur sifflement sinistre sur nos terrassemens, dans nos tranchées, jusqu’au fond des maisons qui nous servent d’abri. Il ne s’agit plus ici de ces batailles où pendant quelques heures on se trouve aux prises avec d’effroyables périls, mais après lesquelles renaît la sécurité. La mort plane à toute heure et nous tient en éveil. Des blessés, des mourans, des travaux bouleversés et détruits, des maisons trouées, des toits effondrés, voilà l’œuvre de chaque journée. Les Parisiens tirent avec rage, sans souci de ce qu’ils peuvent détruire ; on dirait qu’emportés par la haine, par leur fureur aveugle, ils sont indifférens à leur propre ruine : la mitraille frappe