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trompe-l’œil, il y a le chic, puisqu’il faut l’appeler par son nom : une vieille chose et un vieux mot, il paraît, puisque nous le trouvons déjà dans le dictionnaire de Trévoux. Le chic consiste à paraître habilement ce que l’on n’est pas en pastichant lestement ce que l’on ne sait pas. C’est l’élégance du mensonge et la désinvolture du faux. Avec un peu de bonheur et encore plus d’adresse, on peut arriver ainsi à persuader de sa supériorité les gens qui n’en ont aucune. Je crois inutile d’insister sur cette définition, vu la multiplicité des exemples. A la fin de l’empire, cette superficialité en toute chose était devenue le mal dominant. L’ignorance et la frivolité du public en avaient fait une force, le succès en fit une école, que dis-je ? une église qui avait ses grands-prêtres, à peine aujourd’hui déposés. Tout n’était plus que leurre et surface. Or, en ce temps-là, M. Offenbach était le chef de l’école du chic en musique comme M. Rochefort l’était en politique. On apportait à lire la Lanterne la même conviction idiote et frénétique qu’à applaudir la Belle Hélène. Nous pourrions pousser plus loin les citations ; mais nous préférons laisser aux lecteurs le soin de parfaire une énumération riche en personnalités regrettables et en réflexions tristes.

Les temps sont changés ! M. Rochefort a disparu de la politique, — nous l’espérons du moins, — et avec lui sa manière ; mais l’autre pontife est resté qui, sentant le parvis trembler sous ses pas, essaie de prendre pied sur un terrain plus solide. C’est en vain. L’art pour lui est comme cette île topographiquement singulière, imaginée par Boileau, escarpée et sans bords. Hors de son temple, il est mal à l’aise, et quand il. en veut sortir, il se trouve dépaysé comme ces gens spirituels au Marais qui bredouillent au faubourg Saint-Germain.

C’est que l’art n’est pas un agréable pis-aller ou un loisible passe-temps au salaire rapide, aux faciles labeurs. Outre le don qui crée, il veut l’étude qui féconde et l’effort qui persévère. C’est une fleur sauvage et saine qui ne croît que sur les sommets, — in excelsis, — dans le mystère des solitudes et les âpres parfums d’un air vierge, pour ne s’épanouir que sous de durs soleils, il faut, avant de l’atteindre, que le découragement vous ait bien des fois terrassé et que la volonté vous ait relevé bien des fois, et c’est pourquoi, pour parler à M. Offenbach comme Elsbeth à Fantasio, « cela me paraît douteux que vous cueilliez jamais cette fleur-là. »


C. BULOZ.