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philosophie, d’appliquer l’orthopédie banale d’un scénario à musique aux libres allures de cette boutade folle ? Quel besoin d’alourdir le rhythme de ce style délicat par des ariettes chères aux coulissîers ? Tailler des livrets dans de pareilles œuvres, c’est donner la forêt de Fontainebleau aux architectes d’Asnières. Ce n’est pas que la bande noire des librettistes recule devant ces profanations. Pour le coup, l’opération n’est pas heureuse, et je crains, sans m’en affliger, qu’elle ne soit pas lucrative.

Mon Dieu, je sais bien que, si tout ne s’excuse pas, tout s’explique. On a besoin d’un poème, et on va droit à un grand poète, mort ou vif. Ceci est une première erreur. La musique et la poésie, loin de s’entr’aider, s’excluent. Esthétiquement ces deux arts sont complets, et d’ailleurs, sans nous laisser aller à le prouver, il est impossible d’entendre à la fois ce qui se chante et ce qui se dit. Cela est si vrai que, quand ils s’associent, l’auteur s’exécute de bonne grâce, de trop bonne grâce souvent, et ne fournit au compositeur qu’un prétexte à partition, qu’un poème de facture dont le musicien a besoin, qui à besoin du musicien, et dont la lecture serait au moins difficile. Peut-être, dans une combinaison encore à trouver, deux esprits d’une valeur égale peuvent-ils se fondre en une œuvre parfaite ; mais de bonne foi était-ce le cas d’espérer que l’alliance d’Alfred de Musset avec M. Offenbach aurait un tel résultat ? Dans un mariage, dit la chanson, il faut des époux assortis, et je ne crois pas aller trop loin en avançant que pour arriver à l’union souhaitée la sympathie n’est pas assez étroite entre les deux génies, si j’ose m’exprimer ainsi. Il fallait bien dès lors que, selon les lois du théâtre, le premier fût sacrifié au second, voilà comment, après avoir commis l’erreur de choisir un pareil poète, le maestro qui représente à cette heure la musique allemande dans le monde entier et au passage des Panoramas a commis la faute de faire arranger pour son usage un pareil poème. Et vite les hommes du métier se sont mis à la besogne. La scène se passe en Allemagne. Bon ! nous aurons des étudians en redingote de velours noir : grands cheveux, grandes barbes, grandes bottes, grandes pipes, cela fera bien. Il y a une fille de roi ? Bravo ! nous lèverons le rideau sur une cour splendidement composée de vingt figurantes chargées de représenter les beautés du lieu, harnachées de damas à fleurs, groupées autour de leur jeune maîtresse assise elle-même sur un trône magnifique en bois découpé, surmonté d’un parasol, le tout relevé par un rayon de lumière électrique. Encore un effet sûr. N’est-il pas question d’un fou dans la pièce ? Eh bien ! nous aurons une fête des fous avec des manteaux dentelé ? et des bonnets à grelots. Et comme la princesse ne veut pas épouser le prince, elle aimera Fantasio, qui aimera la princesse. Cela va de soi, et voyez-vous comme cela se compose ! Fantasio aime Elsbeth, sérénade de Fantasio ; Elsbeth n’aime pas le prince, air de la princesse malheureuse et persécutée. Notre écolier pêche à la ligne la perruque du prince de Mantoue, — plus hardi que le poète, l’arrangeur