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ESSAIS ET NOTICES.

LA CRISE DU MORMONISME.
Westward by rail, a journey to San Francisco and back and a visit to the Mormons, by W. F. Rae. 2e édit., 1871. Longmans, Green et Cie.


Le chemin de fer du Pacifique, que le président Brigham Young réclamait lui-même dès 1852, a mis l’oasis des « saints du dernier jour » en contact facile avec le monde extérieur. Le pape des mormons ne redoutait point l’influence que la communication régulière avec les « gentils » pouvait exercer sur les idées de son troupeau de fidèles ; « je ne me soucie pas d’une religion, disait-il, qui ne résisterait pas à une voie ferrée. » Sa confiance en lui-même, développée par une longue habitude de domination absolue, ne paraît pas avoir été ébranlée par l’orage qui depuis s’est amoncelé sur sa tête ; mais il est facile de prévoir que la lutte sourdement engagée contre sa dangereuse secte doit aboutir à une catastrophe.

L’existence même des mormons sur le territoire de l’Union est pour l’esprit puritain des Yankees un scandale public. On sait d’ailleurs qu’il s’agit ici bien moins d’aberrations religieuses que d’abus crians et d’un danger permanent pour la société. Un despotisme farouche qui se prélasse effrontément sur la terre libre par excellence, la polygamie avilissant la femme sous les yeux d’un pays où elle est si respectée, des tribunaux qui sont des coupe-gorge, voilà bien de quoi alarmer un gouvernement qui a soutenu une guerre de quatre ans pour abolir chez lui l’esclavage. De persécutés, les mormons sont devenus persécuteurs. Lorsqu’on les eut cruellement chassés de Nauvoo et qu’on eut assassiné leur prophète Joe Smith, ils ont cherché un refuge dans une vallée presque inaccessible, à 400 lieues de toute habitation, et l’ont convertie en un vaste jardin, travaillant avec ferveur, comme si chaque coup de pioche devait affirmer leur foi. En même temps tout moyen leur était bon pour s’isoler du contact des « gentils » et pour assurer le triomphe de leur religion ; les étrangers qui refusaient de se laisser convertir et les apostats qui voulaient se soustraire à la tyrannie des chefs étaient abandonnés aux « anges exterminateurs, » qui les assommaient ou les noyaient dans la rivière. Les tribunaux mormons ont pour principe de fermer les yeux sur les crimes qui sont commis au nom de la sainte cause ; en revanche, on cherche noise aux gentils à tout propos, et ils sont toujours sûrs d’être condamnés. L’insécurité de la vie et de la propriété qui résulte de cet état de choses réclame depuis longtemps des mesures énergiques.