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peut-être plus d’une surprise aux partis qui depuis trois ans semblent se faire un jeu du repos de l’Espagne.

L’Espagne s’agite, la France attend impatiente d’arriver à la délivrance de son territoire, la Prusse se repose dans le sentiment de sa puissance. Ce n’est certes pas la Prusse qui est menacée aujourd’hui par les révolutions. Elle est encore trop près de ses succès, elle a trop l’orgueil de ses victoires récentes, et d’ailleurs elle a pour la conduire un homme qui veut bien se servir quelquefois des révolutionnaires, mais qui ne laisserait pas faire de révolutions, qui ne permettrait même pas une agitation un peu sérieuse. Les événemens intérieurs qui peuvent se passer à Berlin n’ont rien de commun avec nos agitations méridionales. Le seul incident d’une certaine importance est la retraite de M. de Mühler, ministre des cultes, de l’instruction publique et des beaux-arts. Ce qui peut donner en effet quelque signification à ce changement, c’est que M. de Mühler était au pouvoir depuis 1862 ; il avait évidemment la faveur du roi, il représentait le piétisme, longtemps tout-puissant à Berlin. Des incidens particuliers ont hâté, à ce qu’il parait, ce changement ministériel. M. de Mühler s’est fait quelques querelles dans son administration des beaux-arts, et des nominations où l’on a cru distinguer l’influence de la femme du ministre n’ont pas peu servi à compliquer cet imbroglio ; mais il est bien clair que M. de Bismarck a voulu donner un certain gage au parti libéral en remplaçant M. de Mühler, qui avait été jusque-là le défenseur des influences du protestantisme orthodoxe dans l’enseignement. Même sous ce rapport d’ailleurs, M. de Mühler s’était fait une position assez difficile par certaines mesures appliquées dans ces dernières années à l’instruction publique, et par des projets qu’il préparait pour organiser l’inspection laïque des écoles. M. de Mühler en était venu à être suspect aux piétistes eux-mêmes sans désarmer les libéraux ; ses projets allaient rencontrer dans le parlement une opposition des plus vives ; M. de Bismarck a cru sans doute le moment venu d’en finir avec M. de Mühler, et il lui a donné pour successeur un jurisconsulte, M. de Falk, qui passe pour avoir des opinions assez libérales en matière d’enseignement. Ce léger déplacement dans la direction de l’instruction publique en Prusse n’est point sans doute dénué d’importance ; il ne touche en rien après tout à la politique prussienne, dont M. de Bismarck reste le seul maître, le seul régulateur.

CH. DE MAZADE.