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contre une autorité quelconque, tel est le vice révolutionnaire dans son essence. Pour le guérir, il faudrait, s’il était possible, enseigner aux citoyens leurs devoirs en même temps que leurs droits ; mais il est douteux que ce fût dans ce sens que Buchez entendait ce qu’il appelait le devoir social. Pour lui, la formule assez vague d’ailleurs que « le droit émane du devoir » signifiait que la société, avant de proclamer les droits des individus, doit reconnaître ses propres devoirs et non les leurs, que les droits des individus ne sont autre chose que l’accomplissement à leur égard des devoirs de la société. Or ces devoirs de la société, quels sont-ils ? ils se résument en un seul mot, en un mot chrétien : la fraternité, — devoir social supérieur au droit individuel, — la fraternité, vrai principe de l’égalité et de la liberté. La révolution se trouvait donc avoir le même principe que le christianisme : l’égalité par la fraternité.

Tout en faisant reposer la révolution sur un principe chrétien, Buchez n’entendait pas prendre en main la cause de l’église catholique. L’église, selon lui, avait été un interprète infidèle de l’Évangile ; elle avait « judaïsé, » elle judaïsait encore en reconnaissant les privilèges de race. Comment la révolution pouvait-elle être chrétienne, même catholique, en dehors de l’église et malgré l’église ? C’est ce qu’on n’expliquait pas. Peut-être supposera-t-on que les auteurs de l’Histoire parlementaire entendaient l’idée chrétienne dans un sens large et philosophique, non pas au point de vue du dogme révélé ; ce serait une erreur : c’est bien du christianisme dogmatique et orthodoxe qu’il s’agit. « Tout doit être positif, écrivaient-ils ; or ce positif, on ne le trouve nulle part ailleurs que dans la révélation. » Robespierre, tout admiré qu’il est, est cependant blâmé de n’avoir été que déiste. Napoléon est loué d’avoir rétabli le culte. Bien plus, les auteurs se séparent énergiquement du principe protestant, où ils ne voient, comme l’abbé de Lamennais, que le principe de l’individualisme, « la souveraineté du moi. » À cette souveraineté du moi, ils opposent la souveraineté du peuple comme la doctrine commune de la révolution et du catholicisme. « La souveraineté du peuple est catholique en ce qu’elle commande à chacun l’obéissance à tous ; elle est catholique en ce qu’elle comprend le passé, le présent et l’avenir, c’est-à-dire toutes les générations. Elle est catholique en ce qu’elle tend à faire de toute, la société humaine une seule nation soumise à la loi de l’égalité. Elle est catholique enfin en ce qu’elle émane directement de l’enseignement de l’église[1]. »

  1. Il serait plus juste de dire de l’école ; en effet, dans les écoles scolastiques on enseignait la souveraineté du peuple.