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de son éloquence. Il règne et il gouverne par la parole ; il est le génie de la discussion en personne, c’est la force et c’est aussi la faiblesse du régime actuel ; c’est dans tous les cas l’explication la plus simple, la plus saisissante des dernières péripéties où a failli disparaître comme dans un tourbillon ce qui nous reste pour le moment de sécurité et de pouvoir. Que M. Thiers ait été conduit à cette manière d’entendre et de pratiquer le gouvernement par une pensée patriotique, par une généreuse impatience de servir son pays, personne n’en doute. Appelé ou jeté au pouvoir dans un moment d’effroyable détresse où la France, accablée par l’infortune, avait à se sauver d’une dissolution menaçante, il s’est mis à l’œuvre avec un infatigable dévoûment, avec des idées arrêtées, comme il l’a dit plus d’une fois, avec des vues politiques qui embrassaient tous les intérêts nationaux. Ces vues et ces idées, il a la passion de les réaliser, de les voir triompher, cela est bien clair ; il les défend vivement, et, comme il n’est pas de ceux qui imposent leurs opinions ou leurs volontés par les coups d’état, il n’a qu’une force, la parole, la discussion. Il faut qu’il persuade, qu’il gagne ses victoires par l’éloquence. Une fois engagé, il se livre tout entier à cette atmosphère excitante, il a naturellement toutes les émotions, les enivremens et même les susceptibilités du combat ; c’est ce qui est arrivé. M. le président de la république a combattu ; il a été emporté par l’ardeur de la lutte, il n’a pu réussir à convaincre l’assemblée, et sous l’impression de ce mécompte parlementaire, dans un premier mouvement de vivacité, il a envoyé cette démission de chef du pouvoir exécutif qui a tenu un moment tout en suspens. L’assemblée a eu certainement raison ; elle a montré le plus sérieux esprit politique en faisant tout ce qu’elle a pu pour apaiser les susceptibilités de M. le président de la république, et maintenant que cette émotion est un peu passée, maintenant que ce feu de controverse est tombé, M. Thiers lui-même, avec son jugement supérieur, doit être le premier à reconnaître qu’il s’est laissé entraîner, qu’il s’est mépris sur sa propre situation, aussi bien que sur la situation générale du pays, qu’il n’y avait véritablement aucune proportion raisonnable entre le parti extrême auquel il s’est arrêté un instant et la question qui a été le très innocent prétexte de cette crise inutile.

De quoi s’agissait-il donc en réalité ? Un effroyable vide, on ne le sait que trop, a été fait par les événemens dans notre budget. Il n’y a pas moins de 650 millions d’impôts nouveaux à trouver pour combler ce vide. Les uns ont été déjà votés, les autres, pour un chiffre de 250 millions, sont encore à voter. L’assemblée depuis quinze jours était occupée à discuter sur les moyens de faire face à cette charge écrasante et de remettre le budget en équilibre. Impôt sur le revenu ou sur les revenus, impôt sur les valeurs mobilières, impôt sur les matières premières