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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 janvier 1872.

On savait bien que ce singulier état politique où la fatalité des choses nous a jetés, où elle nous retient encore, était aussi laborieux que précaire. On n’ignorait pas que pour mettre en mouvement cette machine complexe, puissante et délicate d’une souveraineté nationale représentée par des pouvoirs mal définis, il fallait presque un miracle permanent de prudence, d’abnégation et même de dextérité. On gardait cependant l’illusion que le miracle pouvait continuer à se faire, puisqu’il s’était fait jusqu’ici ; on vivait sur la foi de ce compromis accepté à Bordeaux, renouvelé il y a six mois à Versailles, et dont l’objet était d’assurer « sinon la stabilité qui est l’œuvre du temps, du moins celle que peuvent donner l’accord des volontés et l’apaisement des partis. » C’était justement la force de cette situation d’être exceptionnelle comme les circonstances, de s’imposer comme une nécessité de prévoyance et de patriotisme, d’avoir le caractère d’une combinaison dont la durée devait être proportionnée à l’occupation étrangère, de trouver enfin son expression dans l’alliance réputée indissoluble d’une assemblée bien intentionnée et d’un homme illustre entre tous, élevé au premier rang par ses services, appelé au gouvernement par une sorte de désignation universelle.

Dans ces conditions, dans l’alliance de M. Thiers et de l’assemblée, le sentiment public si profondément éprouvé trouvait encore une dernière garantie qui suffisait à le rassurer en lui donnant tout ce qu’il peut espérer de confiance aujourd’hui. Sans doute, à y regarder de près, il y avait eu plus d’un nuage, plus d’un germe de mésintelligence depuis dix mois ; on était décidé d’avance à ne pas trop s’inquiéter des nuages, à ne pas même admettre la possibilité d’une rupture, dont l’instinct public désavouait la pensée. On vivait ainsi, croyant tout au moins avoir pris les mesures les plus indispensables contre l’imprévu, lorsque l’imprévu au contraire s’est déchaîné de nouveau justement par l’issue