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système de récépissés à talon dont la souche, cotée et parafée, reste entre les mains du comptable et constate toutes les réceptions. Enfin, pour les opérations qui ont lieu entre les divers magasins de la guerre, on a la preuve de l’exactitude dans la balance qui doit exister entre le total général des entrées et des sorties de tous les établissemens.

Les pièces qui servent à la justification des opérations doivent être établies avec l’attention la plus sérieuse ; il est indispensable de n’y consigner aucun fait qu’après un examen consciencieux. On ne saurait apporter à cet égard trop de scrupules, car l’extrême divisibilité de certaines matières, la difficulté d’obtenir dans les entrées et dans les sorties des mesures mathématiquement égales, fournissent déjà trop d’occasions d’incertitudes et de fraudes. Le comptable des finances, lorsqu’il paie 100 francs, est certain de faire sortir 100 francs de sa caisse. Le garde-magasin qui délivre 100 rations de 1 kilogramme n’est pas sûr de faire sortir exactement 100 kilogrammes de son magasin. Dans le mesurage de chaque ration, il peut s’introduire une certaine différence en plus ou en moins qui altère d’une façon plus ou moins grave le résultat final. On nous racontait à ce sujet une anecdote qui prouve combien il est parfois difficile, même avec la meilleure foi du monde, d’échapper à l’erreur dans les manipulations de matières. C’était en Algérie, en campagne, à la fin d’une marche. On procédait à la distribution du vin qui devait réconforter les troupes fatiguées. Chaque soldat présentait son bidon à la cannelle, et l’homme de service le remplissait devant le comptable des vivres, qui présidait lui-même à l’opération. Un officier qui assistait à la distribution s’adresse tout à coup au comptable. « Cher camarade, dit-il, vous ne donnez pas le compte à nos hommes. — Comment ! réplique le comptable fort de sa conscience, regardez les bidons, on les emplit jusqu’au bord. — Il n’en est pas moins vrai que votre distribution est mal faite, et vous allez vous en convaincre. » Prenant alors un bidon qui venait d’être rempli, l’officier le laissa reposer quelques instans, puis montra au comptable l’abaissement progressif qui se manifesta dans le niveau du liquide. L’air, refoulé au fond du récipient par l’introduction violente du vin, remontait peu à peu à la surface en laissant un vide égal à la place qu’il occupait. Il en résultait pour chaque homme un déchet de quelques centilitres. Le comptable se rendit à l’observation, et régularisa la distribution. On aperçoit le parti que peut tirer la mauvaise foi de circonstances de cette nature[1], on comprend combien il est nécessaire d’exercer

  1. Il y a environ dix ans, on découvrit dans les caves du service des subsistances de Constantine une quantité d’hectolitres de vin assez considérable pour faire pendant trois jours double distribution à 15,000 hommes de troupes. Ces vins, qui ne figuraient plus dans la comptabilité des magasins, en étaient sortis par suite du phénomène physique que nous venons de décrire, phénomène que les habiles connaissaient et dont les comptables honnêtes et les parties prenantes ignoraient l’existence.