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50,000 fr. Or dans le cours de l’année le prix du cuivre rouge sur le marché des métaux s’élève à 2 fr. 60 cent., tandis que celui du cuivre bronze descend à 2 fr. 40. Le comptable conçoit alors l’idée de vendre 5,000 kilogrammes de cuivre rouge et d’y substituer 5,000 kilogrammes de cuivre bronze. L’état perd ainsi 1,000 fr. ; mais l’agent infidèle peut néanmoins justifier d’une valeur de 50,000 francs en magasin, et s’approprier impunément le produit de sa fraude. Le détournement ne pourra être découvert par les contrôles supérieurs qu’à la condition presque irréalisable d’établir la situation de chaque unité simple à l’aide des pièces justificatives des entrées et des sorties ; s’ils reculent devant un pareil travail, si de son côté le contrôle local ferme les yeux ou néglige seulement les vérifications nécessaires, le comptable ne rencontre plus rien devant lui qui arrête ou qui puisse trahir ses manœuvres frauduleuses. Le ministère de la marine a du reste si bien compris le péril, qu’il a soin de remanier chaque année ses tarifs officiels, et de les tenir aussi près que possible de la vérité. Il a pensé que le meilleur moyen de prévenir la fraude était de faire disparaître la marge qui offrait une tentation dangereuse et ouvrait le champ à la spéculation.


II

Lorsque le ministère de la guerre prit la résolution de réformer sa comptabilité-matières, il eut la pensée d’adopter le système-valeurs, et de constituer la nouvelle organisation sur le modèle de celle dont on avait constaté les bons résultats à la marine. Un projet complet fut même préparé dans ce sens. Après mûre discussion, on y renonça pour plusieurs motifs et surtout à cause des considérations que nous venons d’exposer. Tout en reconnaissant que le mode de comptabilité par valeurs était un moyen habile d’approcher de la vérité en conservant l’unité collective, un procédé ingénieux pour revenir indirectement à l’unité simple, à laquelle il restituait son importance, on fut d’avis qu’il était encore préférable d’aller directement à la vérité absolue, de supprimer l’unité collective, et d’asseoir résolument la nouvelle comptabilité sur l’unité simple. On décida en conséquence que l’on compterait par unité simple et par quantité.

Il ne suffisait pas de décréter le principe ; il fallait le mettre à exécution. N’allait-on pas se heurter aux obstacles qui avaient fait adopter l’unité collective en 1845 ? N’allait-on pas se noyer au milieu des milliers d’espèces qui composent les unités simples, et se perdre dans une comptabilité inextricable et gigantesque ?