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il y est inconscient, bien que parfois sous une forme accentuée. En un mot, ils se sont laissé trop entraîner par leurs principes. Ne voyant pas comment une autre histoire eût été possible, ils ont pu croire que celle qui a été était nécessaire. C’est là un excès : rendons justice à la convention et au comité de salut public, sachons-leur gré des services rendus à la patrie ; mais après tout rien ne nous prouve que les mêmes services ou de plus grands n’eussent pu être rendus par un pouvoir plus régulier et plus humain. On conçoit comme possible une certaine concentration de pouvoir et d’autorité qui n’aurait pas été celle des jacobins. Entre l’anarchie et le despotisme, il y a bien des degrés ; la dictature elle-même a les siens. D’ailleurs n’avons-nous pas le droit en histoire de dire que telle chose n’aurait pas dû être, même quand on ne saurait dire comment elle eût pu être autrement ? Le dogme de la liberté morale ne réclame nullement des historiens qu’ils reconstruisent rétroactivement une histoire qui n’a pas existé. Il est permis de dire que Louis XI a été un méchant homme sans être chargé d’expliquer ce qu’eût été l’histoire de Louis XI, s’il eût été un saint Louis. De telles hypothèses sortent du rôle sévère de l’historien, dont l’objet est non le possible, mais le réel. Il n’a pas à dénouer les difficultés théologiques et métaphysiques du libre arbitre ; placé à un point de vue purement pratique, il a le droit d’expliquer les faits et le devoir de les juger, et en faisant la part des causes secondes, ce qui est le rôle de la science, il ne sacrifie point pour cela la conscience morale, qui est d’un autre ordre, et d’un ordre supérieur à la science elle-même. Si les nobles esprits qui les premiers ont repris en main la défense énergique de la révolution française sont tombés dans quelques excès, la faute en est surtout au temps où ils ont écrit. C’était le temps où la révolution croyait encore en elle-même, et n’était pas arrivée au doute et au scepticisme. Elle n’en était pas encore à faire son examen de conscience, et, comme on l’attaquait, ses amis la défendaient avec l’ardeur un peu tranchante de la jeunesse et de la passion.


IV. — ÉCOLE DÉMOCRATICO-CATHOLIQUE. — ÉCOLE SOCIALISTE.
M. BUCHEZ. — M. LOUIS BLANC.

À mesure que la révolution s’éloigne de ses origines, on voit se former peu à peu et grandir une sorte de mythe révolutionnaire qui peut nous expliquer les grandes légendes traditionnelles des peuples primitifs. La révolution devient un dogme : tous ses actes sont héroïques et sacrés ; ses instrumens, même les plus vils, sont des prêtres chargés des immolations et des sacrifices. Le fanatisme