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dédaigner ces mouvemens d’opinion en vue d’un nouvel appel au pays, dont les partis extrêmes sont toujours prêts à prendre l’initiative. S’il convient d’y résister lorsqu’ils sont tout à fait factices, il est sage de les observer avec soin, et il faut savoir y céder à temps, dès qu’ils acquièrent une certaine intensité. L’agitation électorale sera souvent la diversion la moins dangereuse à des impatiences qu’on doit craindre de pousser à bout, quand on n’a pour soi que l’indifférence ou le découragement du plus grand nombre.

Puisqu’on ne peut éviter, dans une période révolutionnaire, la fréquence des élections, le même problème subsiste toujours : comment faire en sorte que les élections, par l’affluence et le zèle éclairé des électeurs, soient vraiment la manifestation de la volonté du pays ? Aux précautions légales, toujours insuffisantes, quelle qu’en soit la valeur, il faut joindre les moyens moraux. Ceux qui déplorent les défaillances du suffrage universel doivent avant tout compter sur eux-mêmes, sur leurs conseils, sur leurs exemples, pour le ramener à l’intelligence et au sentiment de ses devoirs. Il est moins ignorant qu’on n’est tenté de le supposer lorsqu’on voit quelles folies s’autorisent de son assentiment ou se prévalent de son abstention. Ses erreurs les plus regrettables sont presque toujours raisonnées et non sans un certain bon sens. S’il cède à des entraînemens funestes, il ne fait que pousser à leurs dernières conséquences des idées fausses auxquelles ne sont pas inaccessibles des esprits éclairés. S’il se refuse ou se prête avec mollesse aux appels qui lui sont adressés, il obéit à des mobiles contre lesquels ne se tiennent pas toujours en garde les plus sages et les plus honnêtes citoyens. Si nous voulons éclairer ses choix et stimuler son zèle, sachons d’abord combattre en nous-mêmes la légèreté, le découragement, les vains scrupules, la confusion des intérêts et des principes. Si nous voulons faire cesser l’abstention, ne l’encourageons pas par notre exemple. Nous nous reprocherions de ne pas voter, et nous répugnons à l’action électorale ; nous laissons les fanatiques, les ambitieux, les intrigans, disposer en maîtres des comités, des réunions publiques et de presque toutes les manifestations de l’opinion ; nous hésitons également à demander des conseils et à en donner ; nous nous résignons à n’être que des unités impuissantes, quand nous avons plus ou moins charge d’âmes, suivant la mesure de nos lumières, de notre influence, des intérêts que nous représentons dans la société. Nous pratiquons encore l’abstention sous une autre forme, — dont la contagion n’est pas moins à craindre. Nous reculons devant des opinions précises et des volontés arrêtées. A part les esprits absolus et tout d’une pièce, enfermés dans certaines formules hors desquelles ils ne voient point