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part aux excès de la révolution française. Nous croyons qu’il faut leur accorder également qu’une certaine concentration de pouvoirs était nécessaire. C’est une loi qui résulte de l’histoire de tous les temps et de tous les pays, que la guerre civile et la guerre étrangère exigent toujours et amènent inévitablement une augmentation de force entre les mains du gouvernement. La guerre de Louis XIV contre la Hollande mit le pouvoir entre les mains du parti stathoudérien, qui était le parti militaire opposé aux de Witt, chefs de la bourgeoisie libérale. La dictature en temps de guerre est de tous les régimes, et convient même particulièrement aux régimes libres, lesquels en général sont organisés pour la paix et non pour la guerre ; mais la dictature n’est pas la tyrannie, et l’on peut approuver, même admirer le pouvoir hardi qui a sauvé l’unité et l’intégrité de ! a France, tout en le détestant pour l’avoir ensanglantée et déshonorée par une tyrannie impitoyable. On veut toujours confondre ces deux choses, nous faire admirer la terreur parce qu’elle a été liée à la délivrance de la patrie, ou nous faire oublier la délivrance de la patrie parce qu’elle a été liée à la terreur ; ce sont deux choses différentes. On peut rendre justice au comité de salut public tout en l’exécrant, on peut l’admirer et le maudire, il n’y a là nulle contradiction. Ceux qui ne veulent rien accorder au comité de salut public sont obligés de dire que la délivrance de la patrie a été un effet sans cause, ou encore que les gouvernemens ne servent à rien, puisque sans rien faire de bien, et même en ne faisant que le mal, ils peuvent obtenir des succès prodigieux. Ceux au contraire qui voient dans le terrorisme la cause des succès de la révolution sont obligés d’avouer que le crime peut être utile, et qu’il est permis quand il est utile. Cette seconde opinion est odieuse ; la première est inconséquente.

M. Thiers et M. Mignet ont donc eu raison d’introduire dans leur histoire le double principe des circonstances explicatives et des services rendus. La stricte équité historique nous oblige à faire cette double part dans l’appréciation des événemens humains. Il est très vrai que la révolution a été provoquée, ce qui explique ses fureurs ; il est très vrai aussi que la convention a sauvé le pays malgré sa tyrannie. Seulement ces deux principes sont d’une application extrêmement difficile, car les circonstances explicatives peuvent se transformer aisément en circonstances nécessitantes, et au nom des services rendus on peut être conduit sinon à justifier le mal, du moins à l’excuser comme un accompagnement nécessaire du bien. C’est ainsi que l’on glisse sur la pente du fatalisme. Les éminens historiens n’ont pas toujours échappé à ce danger. Sans doute, le fatalisme dans leurs livres n’est pas systématique et prémédité ;