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bons citoyens et d’esprits vraiment politiques dans le sens le plus élevé. Le gouvernement actuel de la France ne s’est constitué et ne se soutient que par une alliance de ce genre. Or, si une telle alliance est à la fois honorable et nécessaire dans l’assemblée nationale, dans le pouvoir exécutif, comment ne le serait-elle pas dans le pays lui-même ? Si M. de Larcy et M. Victor Lefranc peuvent, sans trahison envers leur passé, se donner la main dans un même cabinet pour une action commune, les amis politiques de M. de Larcy et de M. Victor Lefranc peuvent, à plus forte raison, se rencontrer sans scrupule dans les mêmes votes. Autre chose en effet est un acte direct et positif de gouvernement, autre chose le simple exercice du droit de suffrage. Il ne s’agît ici que d’un choix à faire, c’est-à-dire d’une préférence à exprimer, non pas le plus souvent entre le meilleur et le pire, mais entre un moindre mal et un plus grand. Lorsqu’il y a plus de deux partis en présence (et ç’a toujours été malheureusement l’état de notre pays), une majorité n’est possible que par une alliance, sinon formelle, au moins de fait, entre ceux de ces partis que séparent le moins soit leurs principes, soit leur appréciation de la situation présente. Ils se prêteront entre eux à des concessions mutuelles, ou bien, par un souci plus austère de leur dignité ou de la pureté de leurs principes, les plus faibles numériquement se feront l’appoint désintéressé du parti qui, pour le moment, peut lutter avec le plus d’avantage contre l’ennemi commun : leur isolement ou leur abstention serait un compromis d’un autre genre beaucoup moins justifiable, car ce ne serait pas autre chose qu’un concours négatif donné à la cause qu’ils considèrent comme la plus mauvaise. Dans cet éloquent factum où il fustige d’une main si vigoureuse son « collègue » M. Gambetta, M. Dupanloup résume en ces mots son sentiment et celui de la France sur la dictature du fougueux tribun : « après trois mois, vous pesiez sur nous presque plus que l’empire. » Ce presque laisse place pour l’hypothèse extrême où M. l’évêque d’Orléans, forcé de choisir entre M. Gambetta et l’empire, aurait pu se résigner à voter pour le premier. Des hommes très honnêtes, dans tous les partis, se refusent pourtant à comprendre des vérités aussi simples. Ils croiraient manquer à leurs antécédens et renier leurs principes, s’ils donnaient leurs voix à un adversaire politique, même contre un autre adversaire plus dangereux. Quelques-uns poussent encore plus loin le scrupule. Ils s’abstiennent de voter avec leur propre parti, dans l’intérêt de leurs propres principes, pour ne pas confondre leurs votes avec ceux d’un parti qui leur est odieux. J’ai entendu des députés dire tout haut : « Je ne vote pas pour telle mesure, dont je suis pourtant partisan, parce que je ne veux pas que mon nom se trouve accolé, dans le dépouillement du scrutin, à tels noms dont je