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autre essai du même genre, mais plus radical. La maison William Bartleet et fils de Redditch a fondé dans ses établissemens un atelier spécial pour les jeunes mères ; les heures de travail y sont excessivement courtes et très heureusement combinées : l’ouvrage ne dure pour elles que six heures et demie. Le chef d’industrie déclare qu’une expérience de quatre années lui a prouvé que les jeunes mères, en général employées à la tâche, gagnent autant avec ces courtes journées que si elles travaillaient comme les autres ouvrières. Il explique cette anomalie apparente par l’amélioration de leur santé, la disparition des absences et des retards, la plus grande vivacité du travail et l’extrême rareté des maladies. Dans l’intérêt du manufacturier, il faut avec un pareil système réunir les jeunes mères dans une salle spéciale, pour que la force motrice ne desserve les métiers que pendant les heures de présence des ouvrières. On ne saurait se dissimuler que c’est là une complication considérable. M. Dollfus a essayé d’arriver au même but par des moyens plus simples : il propose de n’employer les jeunes mères qu’une moitié de journée, et de leur laisser l’autre pour rester au foyer domestique. La seule difficulté de cette mesure, c’est de la concilier avec le travail aux pièces ; mais la même difficulté s’est présentée déjà pour les enfans, que l’on a répartis en relais. Il est parfaitement certain que l’on ne peut mutiler les tâches pour renfermer chacune d’elles dans un espace de six heures ; mais plusieurs femmes, unies par une communauté de sang ou d’intérêt, la mère et la fille par exemple, ou bien encore deux sœurs, ne pourraient-elles s’entendre pour travailler chacune une demi-journée au même métier et se partager le salaire total ? Ce ne serait pas là une combinaison tellement extraordinaire qu’on dût désespérer de la voir se réaliser. Il existe à Paris des ateliers pour le tissage des châles, où chaque métier est occupé par deux femmes, associées à des conditions égales, et dont chacune fait alternativement une heure de lançage, puis une heure de tissage, ce qui leur permet de travailler plus rapidement et avec moins de fatigue. Une organisation analogue résoudrait le problème pour les jeunes mères. Ainsi comprise et ainsi conduite, l’industrie à la vapeur, malgré ses apparences sévères et rebutantes, peut se rendre compatible avec les devoirs et les convenances de la vie des femmes.

Les moteurs mécaniques ne sont pas aussi irréconciliablement hostiles à la vie de famille qu’on se plaît à le croire, ils peuvent même servir à sa restauration. C’est une croyance universelle que l’industrie automatique demande d’énormes capitaux et ne peut réussir qu’exercée sur une grande échelle ; cela est parfaitement vrai des filatures, c’est moins exact pour les tissages. M. Reybaud nous a raconté l’histoire frappante de ces maîtres ouvriers en soie de la