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apprennent que l’instruction y est assurée aux enfans qui travaillent dans les ateliers et dans les mines par des classes spéciales, et regrettent que les exploitations agricoles et la fabrication de la dentelle de Bailleul échappent à ces bienfaisantes institutions[1]. Dans industrie à domicile, on peut considérer que le fait général, c’est l’ignorance des femmes : bobineuses, dévideuses, dentellières et brodeuses, toutes sont mises au travail presque au sortir du berceau, toutes tiennent une aiguille, un crochet ou une navette, dès que leurs mains ont un peu de souplesse, dès que leur esprit est capable d’un peu d’attention. Dans sa monographie de l’ouvrière des Vosges, M. Augustin Cochin remarque que « la broderie attire, par l’appât d’un salaire presque immédiat, des enfans de dix à douze ans, et que les filles sont aussi éloignées de l’étude, tenues dans l’ignorance et incapables de raccommoder ou de faire elles-mêmes leurs vêtemens ; elles ne savent en général ni lire ni coudre. » Les nombreuses femmes et filles occupées dans l’industrie de la soie sont aussi livrées à un travail précoce à la fois et prolongé ; si l’instruction pénètre parmi elles, c’est seulement depuis que le régime des manufactures a modifié cette importante fabrication.

Nous avons voulu justifier la grande industrie d’une accusation trop légèrement acceptée par le public sur la foi des apparences. Il n’est pas démontré que le régime des grands ateliers, avec les perfectionnemens dont il est susceptible et les précautions que la loi peut exiger, soit naturellement préjudiciable à la santé du personnel ouvrier ; il est certain au contraire que les progrès de la mécanique ont eu pour résultat d’élever d’une manière sensible le prix de la main-d’œuvre et de faciliter parmi les femmes la propagation des notions scolaires. Il reste encore contre la grande industrie des reproches plus graves et d’une portée supérieure : ce serait, dit-on, un agent de démoralisation, les ouvrières y perdraient en peu de temps toute espèce de sentiment de pudeur et de respect d’elles-mêmes. A l’appui de ces assertions, on invoque surtout la notoriété publique ; ces récriminations sont exagérées et elles manquent de base sérieuse. Les ouvrières des mille métiers de la petite industrie ne sont pas plus à l’abri de l’immoralité que les ouvrières des grands ateliers. Assurément le niveau moral est moins élevé dans les centres industriels que dans les campagnes ou dans les villes de peu d’importance ; les fautes y sont incontestablement plus nombreuses. La vie est plus cachée dans les villes, et par conséquent la responsabilité y est moins grande, les hommes s’y dérobent plus aisément aux conséquences de leurs fautes ; puis la classe des riches oisifs et débauchés s’y rencontre davantage. Les villes

  1. État de l’instruction primaire en 1864, t. Ier, département du Nord.