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seconde, c’est qu’avant 89 la France n’avait pas de constitution politique, et que c’est le droit d’un peuple d’avoir une constitution.

Par la première de ces pensées, Mme de Staël s’armait, pour défendre la révolution, des objections mêmes dirigées contre elle. On reprochait à la révolution d’avoir voulu créer un ordre de choses tout nouveau en fondant la liberté sur une terre profondément monarchique ; on répétait avec de Maistre que nul peuple ne peut se donner la liberté, s’il ne l’a déjà. Mme de Staël, en cela d’accord avec Burke (combien de fois n’arrive-t-il pas que des adversaires pensent la même chose ?), répondait que, si la France n’avait plus la liberté en 1789, elle l’avait eue autrefois ; elle montrait, après Retz, Fénelon, Montesquieu, que, s’il y avait eu usurpation, c’était de la part de la monarchie, qui s’était faite graduellement absolue, bien qu’elle ne l’eût pas toujours été. Ainsi la liberté réclamée en 89 n’était pas seulement de droit naturel, elle était encore de droit historique. Sans doute l’école aristocratique aussi bien que l’école libérale pouvait invoquer une semblable argumentation en faveur d’une restauration quasi féodale ; mais cette restauration même n’eût pu avoir lieu sans révolution.

Mme de Staël n’avait pas plus de peine à montrer que la France en 1789 n’avait plus de constitution, si même elle en avait jamais eu. Excepté en effet le principe de l’hérédité monarchique, excepté encore la loi salique, il serait difficile de retrouver ce que l’on appelle les lois fondamentales de l’ancienne monarchie. « Cependant, disait Mme de Staël, c’est le droit d’un peuple d’avoir une constitution, » et ce droit était reconnu par les partisans mêmes de la monarchie traditionnelle[1]. La révolution, au moins en principe, était donc légitime. A la vérité, ce prétendu droit pour un peuple d’avoir une constitution pourra paraître encore une utopie abstraite, car nous sommes devenus aussi sceptiques en matière de constitution qu’on était confiant et candide en 89. Toutefois ce serait ne pas comprendre la question, ce serait opposer un préjugé à un autre, que d’invoquer contre Mme de Staël notre scepticisme actuel à l’égard de ces « chiffons de papier » qu’on appelle des constitutions écrites. On peut très bien soutenir, et c’est notre opinion, que les meilleures constitutions sont celles qui se créent chaque jour par l’usage, par la pratique, par l’expérience, et non par des

  1. M. de Monthion, chancelier du comte d’Artois, dans un écrit publié en 1796, Rapport à sa majesté Louis XVIII, commençait par déclarer, selon Mme de Staël, que, s’il n’y avait pas de constitution en France, la révolution était justifiée, car tout peuple a droit d’avoir une constitution politique. Seulement cet auteur essayait de prouver, contre M. de Calonne, que la France avait une constitution ; mais Mme de Staël le réfute très solidement.