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Quoi qu’en dise M. Michelet, le mot d’ouvrière revient à chaque instant dans ces monumens de l’industrie au moyen âge. Il y a donc une exagération notable et singulièrement puérile dans la prétention que notre temps aurait inventé le travail des femmes. La découverte de la vapeur, en agglomérant la main-d’œuvre dans de vastes ateliers, a sans doute modifié les conditions de l’industrie, mais elle a surtout signalé et fait ressortir aux yeux de tous des maux qui existaient autrefois dans l’ombre.

On peut diviser en trois catégories les ouvrières qui ne sont pas occupées par l’agriculture et le labeur des champs : ce sont d’abord les femmes employées par la grande industrie et s’acquittant de leur tâche dans des usines ; ensuite viennent les ménagères qui se consacrent près du foyer domestique à des travaux sédentaires et isolés, comme les brodeuses, les dentellières, les gantières ; en dernier lieu, les ouvrières des mille métiers de la petite industrie : celles-ci sont le plus souvent réunies en faibles groupes dans des ateliers de peu d’importance. La moindre observation de notre régime industriel nous montre que le travail dans l’atelier commun, grand ou petit, tend de plus en plus à se substituer au travail à domicile. C’est en vain que le moraliste récrimine contre ce changement, qui est imposé par le développement des machines et des procédés de fabrication. On ne pourra réagir efficacement contre cette concentration de la main-d’œuvre que le jour où l’on aura trouvé le secret de produire la force motrice en faible quantité et à bon marché. Jusque-là, il est à craindre que les ouvriers des deux sexes ne continuent à travailler en grand nombre, côte à côte, dans des établissemens gigantesques. L’expérience prouve que les considérations philanthropiques sont généralement impuissantes à triompher des faits de l’ordre économique, et que c’est seulement de nouvelles découvertes et de nouvelles applications scientifiques que les travailleurs de toute condition peuvent attendre leur affranchissement physique et moral.

Depuis l’année 1769, où le barbier Arkwright inventa la mull-jenny de vingt broches pour filer le coton, tous les perfectionnemens industriels ont eu pour conséquence de constituer de vastes manufactures et de restreindre le champ du travail des femmes à domicile. Après le banc à broches, on découvrit d’autres instrumens ingénieux pour le battage, le cardage, l’étirage et le peignage. Les progrès dans la filature furent suivis par des progrès analogues dans le tissage. Le blanchiment et l’impression des étoffes furent bientôt soumis aussi à des procédés automatiques. Au début, c’était seulement l’industrie du coton qui avait bénéficié du nouveau régime ; mais à pas plus ou moins inégaux toutes les