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l’amélioration du sort matériel et moral de la femme pauvre. En étudiant ici la question du travail des femmes, nous entendons ne faire qu’une œuvre positive et pratique ; il est aisé de puiser dans la sensibilité et dans l’imagination mille plans variés et ingénieux pour supprimer les inévitables épreuves que la loi de nature impose aux êtres humains. Notre société est au plus haut degré compatissante, elle ressent une légitime horreur pour les souffrances qui affligent une partie de ses membres ; il faut se mettre en garde cependant contre l’excès de ce sentiment respectable : il y a une part irréductible de maux attachée à la production des biens indispensables à la civilisation moderne.


I

Dans une ardente invective sur la condition de la femme du peuple, M. Michelet s’est écrié : « L’ouvrière, mot impie, sordide, qu’aucune langue n’eut jamais, qu’aucun temps n’aurait compris avant cet âge de fer, et qui balancerait à lui seul tous nos prétendus progrès. » De telles déclamations trouvent toujours facilement de l’écho dans un public superficiel, mais elles n’ont aucune base dans les faits, et partent d’une imagination surexcitée. Chez tous les peuples et dans tous les siècles, il ne fut pas plus donné à la femme qu’à l’homme de se soustraire à la loi de travail. La production ne saurait suffire à la subsistance du genre humain, si elle ne provenait que des efforts et de l’industrie du sexe masculin. Au moyen âge, les manses tributaires et les manses seigneuriales étaient de véritables ateliers, où parfois les femmes et les hommes travaillaient en commun. Les gynécées étaient des chambrées qui ne renfermaient que des ouvrières sous la direction d’un intendant appelé villicus. Dès le IXe siècle, la réputation des femmes occupées dans ces travaux était devenue détestable : le nom d’ouvrière de gynécée (genitiaria) finit par être synonyme de courtisane. A la même époque, le travail aggloméré prenait une forme spéciale, qu’il a gardée jusqu’à nos jours en s’introduisant dans les couvens et en y constituant de véritables ouvroirs. La règle de saint Césaire d’Arles, donnée par la reine Radegonde au monastère de Poitiers et publiée par M. Augustin Thierry dans ses Récits des temps mérovingiens, décrit d’une manière minutieuse l’organisation du travail des femmes dans ces temps reculés. La création des corporations fit aussi une place importante à l’ouvrière. Les Registres des métiers et marchandises font foi que les femmes étaient admises à la maîtrise et même aux dignités dans beaucoup de corps d’état.