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res sacra homini, dit Sénèque ; il a l’antiquité sacrée : faciamus hominem ad imaginem nostram. Eh quoi ! lorsque Dieu créa le premier homme, notre théocrate eût-il pu lui dire qu’il ne connaissait pas l’homme en général, qu’il connaissait seulement des Anglais, des Français et des Russes ? Adam était-il donc Anglais ou Russe ? Qu’était-il ? Homme, et rien davantage.

C’est aussi bien le génie du christianisme que de la philosophie de rattacher les hommes à un type commun et en quelque sorte à une idée pure. La révolution ne s’est donc pas trompée en proclamant les droits de l’homme ; elle s’est trompée, comme le catholicisme du moyen âge, en les imposant par le fer et par le feu.


III. — ÉCOLE CONSTITUTIONNELLE ET LIBERALE. — Mme DE STAËL. MM. THIERS ET MIGNET.

Tandis que les écoles aristocratique et théocratique repoussaient et réprouvaient la révolution absolument et sans réserves, l’école constitutionnelle, tout en répudiant ses excès, s’efforçait timidement de lui faire sa part, et bientôt la jeune école libérale de la restauration, plus hardie, allait en entreprendre la défense avec éclat. Dès 1792, Mounier lui-même, l’un des premiers cependant qui eussent désespéré, et qui dès les journées d’octobre avait abandonné l’assemblée constituante, où, croyait-il, il n’y avait plus de bien à faire, Mounier, dans le livre même où il demandait une contre-révolution[1], faisait la critique la plus sévère de l’ancien régime, et en déclarait le rétablissement impossible. Il justifiait les premiers actes des états-généraux, auxquels il avait participé, à savoir la réunion des ordres et le serment du Jeu de Paume, et ne trouvait la révolution illégitime qu’à partir du moment où elle l’avait dépassé : disposition fréquente en temps de révolution, où chacun prend sa propre opinion pour critérium absolu du vrai et du faux.

À la même nuance d’opinion, mais avec plus d’ouverture d’esprit et quelque degré de plus de hardiesse et d’espérance, se rattachait Mme de Staël, dont on connaît les belles Considérations sur la révolution française. Malheureusement pour nous, ce sont plutôt des mémoires sur la révolution et surtout sur M. Necker qu’une appréciation théorique et générale. On y trouve des vues justes et fines sur les événemens plus qu’un jugement sur l’ensemble. On peut en extraire néanmoins deux considérations importantes. La première est cette pensée souvent citée, « qu’en France c’est la liberté qui est ancienne, et le despotisme qui est nouveau. » La

  1. Mounier, Recherches sur les causes qui ont empêché les Français de devenir libres. Genève 1792.