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raison lui avait appris à croire ou de ce qu’il aimait de toutes les forces de son cœur. La moindre atteinte de ce genre excitait en lui non pas ces transports de colère auxquels Ingres s’abandonnait avec une effusion un peu puérile, mais une virile indignation dont l’expression brève, rudement assenée parfois, terrassait ceux qui en recevaient le choc mieux qu’un long discours n’aurait pu faire, et vengeait, avec la cause personnelle de l’artiste, celle de l’art lui-même et du bon droit.

On devine l’effet que durent produire les sombres événemens de 1870 sur une organisation aussi impressionnable, sur cette âme ardemment éprise en toutes choses du juste et du beau. Duban eût-il été plein de santé à l’époque où s’ouvrit l’ère de nos calamités nationales, les angoisses du présent et le pressentiment de ce qui allait suivre eussent suffi peut-être pour épuiser en lui les sources de la vie. A plus forte raison, la maladie dont il était atteint depuis quelques mois vint-elle en aide aux ravages exercés par les douleurs morales. Emmené par sa famille à Caen dès le mois de juillet 1870, puis un peu plus tard à Bordeaux, Duban, depuis l’heure où il avait quitté Paris, n’existait plus que pour écouter avec une anxiété avide les bruits de nos revers ou l’écho mensonger des heureuses nouvelles qu’on essayait par momens de propager, pour suivre d’un œil épouvanté les progrès de l’ennemi sur notre sol, et regretter, dans son désespoir patriotique, que la mort ne l’eût pas délivré encore du supplice auquel le malheur des temps le condamnait. « Je trouve que j’ai trop vécu, » écrivait-il à l’un de ses plus chers amis dès les premiers jours de l’invasion : qu’eût-il pensé au bout de quelques mois, qu’eût-il dit de sa fatale longévité ! Il vécut heureusement trop peu pour être jusqu’à la fin témoin de nos désastres. Le spectacle hideux des ruines qu’allaient faire bientôt dans Paris les décrets de la commune et les torches des incendiaires lui fut du moins épargné, et, lorsqu’il succombait à Bordeaux le 8 octobre 1870, il pouvait croire encore que les ennemis venus, de l’autre côté du Rhin étaient les seuls qui en voulussent à notre honneur, à notre sang, à nos richesses nationales.

Quel contraste entre les souvenirs de cette mort, de ces derniers jours si cruellement agités, et la sérénité que respirent, d’un bout à l’autre de la série, les œuvres recueillies aujourd’hui à l’École des Beaux-Arts ! Oui, ce contraste est triste, mais n’y a-t-il pas là aussi et avant tout un témoignage dont nous devons, en dehors ou à côté du deuil présent, apprécier la valeur durable et comprendre la signification ? Ces nobles dessins, si uniformément empreints de la certitude que donnent une foi profonde et une science patiemment acquise, ne nous rappellent de la vie de Duban que ce qui en a rempli les plus belles heures et le mieux consacré ou récompensé