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présentés pour qu’il contrôlât les devis ou qu’il avisât aux moyens d’y pourvoir, ce ministre se crut le droit de crayonner de sa propre main des modifications où l’art seul était en cause, donnant ainsi avec une naïve sécurité d’esprit une leçon de goût à Duban. Bien plus : des travaux déjà exécutés par le maître furent officiellement condamnés à la destruction, et la décoration intérieure de la cour du Louvre venait à peine d’être livrée aux regards du public qu’elle disparaissait, par ordre supérieur, sous le marteau des démolisseurs. Duban n’attendit pas ce dernier outrage pour abandonner les fonctions qu’il remplissait. Aux sacrifices ou aux remaniemens qu’on lui demandait, il répondit en 1852 par sa démission d’architecte du Louvre, et depuis lors il se consacra tout entier à la continuation des deux œuvres qui devaient principalement honorer son nom, — l’École des Beaux-Arts et la restauration du château de Blois.

Je me trompe : quelque assiduité, quelques labeurs qu’elles imposassent, ces deux grandes tâches n’absorbèrent pas si bien la vie de Duban qu’il ne trouvât le temps de s’employer aussi, en dehors de la pratique, à la défense des doctrines ou à l’enseignement des vérités qu’il était mieux que personne en mesure de faire prévaloir. Au conseil-général des bâtimens civils, dont il devint le vice-président en 1863, comme au comité des Monumens historiques, à l’Académie des Beaux-Arts, où ses avis étaient écoutés avec une déférence unanime, comme au conseil municipal, comme dans d’autres réunions encore, il ne se désintéressait pas plus des questions actuelles qu’il n’hésitait, le cas échéant, à élever le débat à la hauteur d’une discussion sur les principes, à se déclarer dans les termes les plus mesurés, mais les plus fermes, en dissentiment formel avec les représentans du pouvoir ou, courage plus difficile, avec ses meilleurs amis. Sa parole courte, hachée et comme oppressée par l’émotion intérieure ou par l’abondance des idées, avait quelque chose de particulièrement pénétrant, un accent profond, auquel sa physionomie à la fois énergique et rêveuse, ses traits largement dessinés, sa chevelure même, épaisse et longue, ajoutaient un surcroît d’originalité imposante et presque un caractère prophétique. Doux quoique passionné, aussi bienveillant pour les personnes que sévère pour les opinions qu’il jugeait fausses, Duban apportait dans le commerce de la vie une facilité qui n’avait d’égale que sa rigidité en matière esthétique et la fière opiniâtreté de ses convictions. Nul ne s’accommodait plus volontiers des ignorans de bonne foi et des simples, nul ne se prêtait de meilleure grâce aux exigences du monde et du savoir-vivre, pourvu que ni hommes ni choses n’en vinssent à entamer, à effleurer même son indépendance intellectuelle ou morale, à compromettre quoi que ce fût de ce que sa