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certaines difficultés résultant de la dispersion dans diverses collections publiques ou particulières, les œuvres d’un peintre et même celles d’un sculpteur arriveront aisément à recevoir cette hospitalité momentanée : il n’y aura là en réalité qu’une question de bon vouloir chez les possesseurs, de soins à prendre ou de recherches à faire pour les organisateurs de l’exposition ; mais, s’il s’agit d’un architecte, comment rassembler es œuvres auxquelles il aura attaché son nom ? comment nous faire embrasser d’un seul coup d’œil, dans un même lieu, les spécimens de son imagination ou de son savoir ? Tout au plus sera-t-il possible de nous rappeler ou de nous apprendre ce qu’il a construit çà et là, en recueillant des fragmens de projets, quelques plans plus ou moins arrêtés, quelques photographies reproduisant tant bien que mal l’aspect des édifices élevés ou restaurés par lui. Suffira-t-il toutefois de présenter à nos regards ces documens arides ou ces images mécaniques pour nous donner la juste mesure des mérites propres à l’artiste, pour nous permettre de juger en pleine connaissance de cause ses doctrines, son goût, et, si le mot peut être de mise ici, sa manière ? Loin de se manifester directement et de nous renseigner en face, son talent ne se décèlera que sous la forme équivoque des témoignages intermédiaires. Au lieu de l’expression vivante et personnelle, on n’aura plus que la lettre morte, au lieu de preuves que des allusions.

Lors donc qu’un architecte éminent vient à disparaître, s’il arrive même, comme aujourd’hui, que la mort nous enlève le plus éminent d’entre eux, faudra-t-il refuser à sa mémoire ces hommages, à ses travaux cette publicité qu’une exposition posthume peut procurer au nom et aux œuvres d’un statuaire ou d’un peintre ? Devra-t-on, pour établir ses titres et les recommander à l’opinion, se borner à la simple nomenclature des monumens qu’il aura bâtis, sans nous fournir en outre les preuves de l’habileté de son crayon, sans nous mettre à même de prendre pour ainsi dire son talent sur le fait et d’en discerner, aussi bien que les inclinations intimes, les coutumes particulières et les procédés ? Les confrères et les amis de M. Duban ne l’ont pas pensé. En choisissant parmi ses dessins ceux qui leur paraissaient les plus propres à nous révéler les secrets ressorts de sa pensée et les rares aptitudes de sa main, ils ont cru et ils ont eu raison de croire qu’il y avait là pour le public toute une série de documens nouveaux à interroger, pour les jeunes artistes d’utiles exemples, de grands enseignemens à recevoir. De là l’exposition qui vient de s’ouvrir et le vif intérêt qu’elle présente, même aux regards les mieux familiarisés avec les monumens dont le maître a, pendant près de quarante années, dirigé sans relâche la construction ou si noblement relevé les ruines.