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démon de luxure et de cruauté, qui sournoisement tue les enfans et égare le voyageur attardé dans le désert, le guette à l’heure sombre où le sommeil le dompte, l’enlace de ses bras de spectre et boit sa vie dans un baiser de feu.

Aussi bien, le déchiffrement des inscriptions cunéiformes et l’étude des monumens de la Chaldée, de l’Assyrie et de la Phénicie nous offriraient bien d’autres sujets de haute méditation, si nous interrogions ces sciences sur les plus vieux mythes cosmogoniques des peuples sémitiques. Les deux récits de la création dans la Genèse hébraïque, la tradition du déluge, la construction de la tour des langues, la notion du « dieu-loi, » Thouro ou Thora, les dix patriarches antédiluviens identiques aux dix rois antédiluviens de Babylone, dont le caractère sidéral et zodiacal n’est pas douteux, voilà autant de questions d’archéologie orientale dont les élémens derniers sont tous réductibles à la théologie et à la mythologie chaldéo-assyrienne.

La mythologie des Sémites, moins riche assurément que celle des Aryas, est cependant une de ces études d’infinie portée sans lesquelles on ne peut guère comprendre le développement historique des peuples de notre Occident. Les vieilles nations de l’Asie ne nous ont pas seulement donné les religions actuelles. Les Grecs, qui nous ont civilisés, ne devaient-ils pas leur civilisation à la Phénicie, à l’Assyrie et à l’Égypte ? S’il y a pour nous un abîme entre les monumens de l’art asiatique et le grand art idéaliste des Hellènes, si une science tout empirique et sans idées générales ne saurait être comparée à la conception scientifique du monde d’un Démocrite ou d’un Aristote, si des tables astronomiques et des recettes médicales nous laissent bien loin du Traité du Ciel, de la Physique et de l’Histoire des animaux, toujours est-il que ces œuvres du génie grec et tous les progrès ultérieurs de la civilisation occidentale supposent une initiation lente et laborieuse, pendant laquelle les Hellènes durent apprendre à lire, à écrire, à compter, à mesurer, à faire des observations astronomiques. L’Égypte et la Chaldée avaient sur la Grèce une avance de plusieurs milliers d’années. Aussi est-ce toujours vers ces antiques civilisations de l’Orient qu’il nous faut remonter lorsque, pour comprendre ce qui est, nous voulons connaître ce qui a été.


JULES SOURY.