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d’Aschera, que se dressaient les tentes des prostituées sacrées[1]. La Bible désigne la fête des prostitutions sacrées sous le nom de Soucoth Benoth, « les tentes des filles. » Il s’agit de la fête des Sacées. L’opinion de Movers, qui compare ce nom à celui d’une des grandes solennités de l’année juive, la fête des tentes ou des tabernacles, a aujourd’hui prévalu dans la science. Diodore signale à Carthage une fête analogue importée sans doute de la Phénicie. Quand Ézéchiel personnifie Jérusalem et Samarie sous les traits de deux prostituées, il les désigne par des noms que Movers a dérivés avec raison d’un mot hébreu signifiant tente. Ajoutons qu’il y avait en Palestine une ville dont le nom vient sûrement de soucoth, « tentes[2]. » A Babylone, cette « fête des tentes » était originairement consacrée à Zarpanit, déesse qui, nous le verrons bientôt, personnifiait la puissance génératrice de la nature.

Ces tentes étaient tissées et ornées de figures par les prêtresses d’Aschera. Revêtues d’habits splendides, la chevelure humide de parfums, les joues couvertes de vermillon, le tour des yeux noirci d’antimoine, les cils allongés avec un mélange de gomme, de musc et d’ébène, les prêtresses attendaient sous ces tentes[3], sur des lits spacieux[4], les adorateurs de la déesse ; elles faisaient leur prix et leurs conditions, et versaient l’argent dans le trésor du temple. Aux jours de fête, les pèlerins se rendaient en foule au sanctuaire et visitaient les tentes. Souvent ces prêtresses d’Aschera n’appartenaient pas au sanctuaire. Assises aux carrefours des villes, sur le bord des chemins, le front ceint d’une corde, elles se livraient à tout venant, et consacraient à la déesse le bouc ou les quelques pièces d’argent que l’étranger leur avait donnés[5]. Le bouc était l’animal offert à la déesse par les prostituées dans tous ses sanctuaires ; mais le plus souvent, le présent consistait en une pièce d’argent, comme à Babylone, où l’étranger disait en la leur jetant sur les genoux : « Que Bélit te protège[6] ! » Dans la lettre dite de Jérémie, on voit ces femmes assises en longue file dans les rues. Quand l’une d’elles a été emmenée, elle raille celle de ses compagnes dont la corde n’a pas encore été rompue. Souvent c’étaient des femmes stériles qui se vouaient au culte de la déesse pour devenir mères.

Déesse de la terre fécondée, Aschera l’était aussi de la conception. M. François Lenormant remarque que la Mylitta d’Hérodote

  1. Is., LVII, 7 et suiv. ; II Reg., XVII, 30 ; XXIII, 7 ; Èzéch., XXIII, 14 ; Hos., IV, 13.
  2. Voyez Fr. Lenormant, Lettres assyriologiques, I, 80.
  3. Num., XXV, 8.
  4. Is., LVII, 8.
  5. Gen., XXXVIII, 14 ; Jérém., III, 2.
  6. Hérod., I, 199.