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reine, un roi piétiste de Juda, Assa, mit brutalement en pièces et brûla dans la vallée de Cédron l’idole que cette pieuse princesse avait fait faire pour Aschera. Au printemps, comme chez nous à l’époque des Rogations, de longues processions de prêtres et de hiérodules promenaient dans les champs où le blé commençait à germer le naos d’Adonis, représenté par un symbole du même genre.

Après les sacrifices humains, la prostitution sacrée est ce qui caractérise essentiellement la religion primitive des Beni-Israël. Il en a naturellement été de même dans les autres familles de la race sémitique ; mais ne parlons que des Juives et des Syriennes. Certes ce n’est pas sans raison que, dans le Deutéronome (XXIII, 17), vrai livre de piété édifiante écrit quelques années avant la captivité de Babylone, la prostitution est défendue aux fils et aux filles d’Israël. Jamais race humaine n’eut un tempérament plus voluptueux[1]. La Juive a l’impudeur naïve, la lèvre rouge de désir, l’œil humide et singulièrement lumineux dans l’ombre. Affolée de volupté, superbe de ses triomphes, ou simplement féline et caressante, c’est toujours la créature « insatiable, » la fille a aux sept démons » dont parle l’Écriture, sorte de fournaise ardente où le blond Germain fond comme cire. Autant qu’il était en elle, de ses bras souples et nerveux, la Syrienne a traîné dans la tombe les derniers fils épuisés de la Grèce et de Rome. Mais qui dira la grâce et les molles langueurs de ces filles syriennes, leurs grands yeux noirs cernés, les tons bistrés et chauds de leur peau ? A voir cette créature humble et douce, affaissée et comme accablée par un secret malaise, traînant ses babouches sur les dalles d’un gynécée, on eût dit une esclave stupide. Quand la fureur des sens était apaisée, elles tombaient dans un accablement infini, et tandis que leurs visages ruisselaient de larmes involontaires, leurs bouches exhalaient ces lamentations douloureuses et mystiques dont nous retrouvons un écho dans les litanies de Tammouz. Ces filles, morbides et enfiévrées, étaient très fines, très intelligentes, d’une habileté tout à fait consommée. Hier esclaves, reines aujourd’hui. Comme la Sulamite du Cantique, elles unissaient très bien l’instinct profond de la volupté au sens pratique des affaires. Elles n’en gardaient pas moins toujours, au sein même des raffinemens du plaisir les plus inouïs, je ne sais quoi de grave et de religieux qui faisait des femmes de cette race les vraies, les seules prêtresses de l’amour.

C’était généralement sur les « hauts-lieux, » où l’on offrait des sacrifices, à côté de la tête de Baal ou de Jahveh et du symbole

  1. Tacit., Hist, V, 5, Projectissima ad libidinem gens.