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exemple fameux. Pendant leur séjour en Égypte, les Béni-Israël continuèrent d’offrir au dieu leurs premiers-nés (Ézéch., XX, 26). Aussi les Israélites passaient-ils aux yeux des Égyptiens pour des adorateurs du mauvais principe, de Typhon meurtrier d’Osiris. A l’époque des juges, qui ne connaît l’histoire de Jephté et de sa fille, de Samuel et d’Agag ? David veut apaiser la colère de Jahveh en mettant à mort sept fils ou petits-fils de Saül, il jette dans la fournaise les prisonniers de guerre. A Guilgal, sanctuaire célèbre, on sacrifiait aux taureaux de fonte de Jahveh des bœufs et des hommes. Il résulte d’un passage de Micha qu’on attachait une vertu expiatoire au sacrifice des premiers-nés. « Offrirai-je mon premier-né pour expier mon crime, — le fruit de mes entrailles pour le péché de mon âme ? » Pendant toute la durée de la monarchie, ces sacrifices ont eu lieu dans les royaumes d’Israël et de Juda, surtout dans la vallée de Ben-Hinnôm, près de Jérusalem, au sud de la montagne de Sion. Là se trouvait le fameux Tophet, sorte de pyrée ou foyer sacré entretenu par des prêtres. Voici quelques paroles d’Isaïe auxquelles on n’a peut-être pas accordé toute l’attention qu’elles méritent, car elles me semblent ne laisser aucun doute sur la nature du Tophet : « Oui, depuis hier (longtemps) Tophet est préparé, il est préparé pour Moloch, il est profond et large. Son bûcher a du feu et du bois en quantité. L’haleine de Jahveh brûle comme un torrent de soufre[1]. » C’est dans ce bûcher que les Hébreux jetaient leurs premiers-nés. Jahveh, la flamme du sacrifice, dévorait ces offrandes. De nombreux passages de la Bible montrent qu’il ne s’agissait pas simplement de faire passer les enfans par le feu, mais bien de les donner en pâture à la flamme.

Plus tard, en effet, après la captivité de Babylone, quand le monothéisme jahviste eut triomphé, on adoucit certaines expressions qui auraient pu scandaliser les Juifs pieux, assemblés dans les synagogues les jours de sabbat pour entendre la lecture des livres saints. Nous avons la preuve que les textes bibliques ont subi des modifications de ce genre dans des passages parallèles comme II Chron., XXVIII, 1-4, et II Rois, XVI, 3. Dans l’un, il est dit que le roi de Juda Achaz « brûla de ses fils au feu ; » dans l’autre, il les fait seulement passer par le feu. Les légendes divines au besoin inspiraient aux peuples et aux rois ces sortes de sacrifices. Eusèbe a conservé un fragment de l’histoire de la Phénicie de Philon de Byblos où Kronos, que les Phéniciens appelaient El, immole son fils unique pour conjurer les périls de la guerre qui menaçait les contrées dont il était roi. C’est ce que fit le roi de Moab Mésa, qui sacrifia

  1. XXX, 33.