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clergé, dit encore Saint-Martin, qui est « la cause indirecte des crimes des rois. » C’est lui qui, tout en parlant sans cesse de Dieu, n’a cherché « qu’à établir son propre règne. « Il a couvert la terre de temples matériels « dont il s’est fait la principale idole. « Il a « égaré et tourmenté la prière » au lieu de lui ouvrir un libre cours. « Il a transformé tous les droits bienfaisans qu’il avait reçus en une despotique dévastation et un règne impérieux sur les consciences. » Il a fait de ses livres sacrés « un tarif d’exactions. » En un mot, Saint-Martin voit dans les prêtres « les accapareurs des subsistances de l’âme, » et, selon lui, c’est eux que la Providence a eus particulièrement en vue dans le cours de la révolution. Qu’on ne s’étonne pas d’un langage aussi amer et aussi violent : rien de plus fréquent chez les mystiques.

Quel est maintenant pour Saint-Martin le but de cette grande crise et quel en doit être l’effet ? Ce but est essentiellement religieux. « La Providence, dit notre auteur, s’occupe plus des choses que des mots. Les guerres du XVIe siècle, que l’on appelle des guerres religieuses, n’ont été que des guerres politiques. La guerre de la révolution, qui semble n’être qu’une guerre politique, est au fond une guerre religieuse. Cette guerre est la crise et la convulsion des puissances humaines expirantes, se débattant contre une puissance neuve, naturelle et vive. » On peut dire à ce spectacle, comme les magiciens de Pharaon à la vue des prodiges de Moïse : « Ici est le doigt de Dieu. » Le but suprême de tous ces prodiges est de conduire les peuples « à la sublimité de la théocratie divine, spirituelle et naturelle, quelle que soit la forme de leur gouvernement. » Ainsi cette grande crise n’est qu’un signe annonçant une restauration ultérieure et « un plan positif de renouvellement. »

Saint-Martin n’était pas après tout un ennemi de la révolution, bien qu’il plaçât à un rang très secondaire le but politique et social qu’elle poursuivait. Il en partageait les passions contre l’ancien régime, contre les rois, les nobles et les prêtres, et, s’il y voyait un châtiment, c’était surtout le châtiment du passé. Joseph de Maistre au contraire est un adversaire absolu, irréconciliable, de la révolution. Pour lui, elle est mauvaise « radicalement. » Elle est « un événement unique dans l’histoire ; » mais pourquoi ? C’est qu’elle est un événement « satanique. » Cependant, si mauvaise qu’elle soit, et même précisément parce qu’elle est un mal absolu, il faut se garder de croire qu’elle n’ait été qu’un accident dû à quelque cause superficielle. La révolution est a une grande époque, » c’est un événement vraiment providentiel, c’est « une révolution décrétée, » c’est « un miracle » dans le sens propre du mot. La fatalité en est le caractère le plus saisissant. « La révolution mène les