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couronnée d’un nuage de fumée, un peu plus loin les ruines de l’antique Thorico, en face les rochers rougeâtres de l’île d’Hélène. A l’horizon, se dressent les sombres hauteurs de Carysto, dans l’Eubée ; vers l’est, Zea et ses sœurs des Cyclades sortent des flots bleus comme des perles brillantes. Vers le sud, les colonnes du temple de Sunium, restes d’une grandeur évanouie, se détachent sur le fond lumineux du ciel ; enfin au couchant, le regard charmé parcourt le golfe d’Athènes, salue l’île d’Egine, Salamine et ces rivages célèbres dont le nom réveille tant de glorieux souvenirs.

L’arrivée par mer à Ergastiria est saisissante. Dans le port se pressent des navires grecs, français et anglais. A côté des grands trois-mâts de 1,000 tonneaux, chargés de charbon de Newcastle, voici un bateau à vapeur français récemment arrivé de Marseille ; il est amarré près du môle, et de ses larges flancs sortent des pièces de machines, des outils, des wagons, des charpentes, des rails. Plus loin un vapeur de la marine grecque, celui-là même qui, pendant la guerre de Crète, échappait aux croisières turques et portait aux insurgés les armes, les munitions et les vivres. Autour de ces lourdes masses, glissent les caïques à, la poupe redressée, surmontés de leur élégante voile triangulaire ; ils apportent des îles de l’Archipel des légumes, des fruits, du poisson ; quelques-uns viennent de Lagrana, près d’Anaphlystos, et déchargent des scories. Les matelots sont enfouis dans l’immense pantalon turc, espèce de large sac en toile de coton bleue, dont les extrémités portent deux ouvertures pour les jambes. Près du rivage, à gauche, s’étendent trois grands hangars, sous lesquels on voit briller les feux étincelans des fours. En avant, comme de longs serpens, ondulent des ruisseaux de lave noirâtre ; ce sont les scories appauvries provenant de la fusion (gâtchas). Une multitude d’ouvriers à demi nus [gâtcheros) les enlèvent avec de lourds crochets en fer et les chargent sur des wagonnets en tôle ; un chemin de fer suit la rive, et les convois bruyans, traînés par des chevaux, vont déposer leur fardeau sur le bord septentrional de la baie, à 1 kilomètre de l’usine. Des halles de fusion part une interminable rangée d’arcades que l’on prendrait pour un aqueduc, c’est la galerie de condensation des fumées, longue de 1,400 mètres, où les vapeurs métalliques se déposent en partie avant d’arriver à la cheminée élevée sur un monticule isolé. Entre les hangars s’élèvent les bâtimens des machines soufflantes, construites à Marseille ; jour et nuit elles ne cessent de faire entendre leurs sourds ronflemens. A droite, on aperçoit les magasins, la maison d’administration, l’hôpital, où les ouvriers sont soignés aux frais de la compagnie, des écuries pour trois cents chevaux, enfin le village, dominé par l’église grecque aux murs polychromes. Là s’agite une population bariolée, offrant à l’observateur un échantillon de