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désintéressés. Il est de tradition que la religion est en Prusse, avec l’armée et l’école, un moyen de gouvernement ; cette considération n’avait point échappé au piétisme de Frédéric-Guillaume. Au surplus, il aimait la paix, et le peu de garanties constitutionnelles que possède la Prusse, c’est à lui qu’elle les doit. Il ne faut pas trop médire du romantisme. Ce que nous avons vu nous dispose à l’indulgence pour les romantiques qui ont aimé la paix ; nous les préférons aux conquérans onctueux qui font parler Dieu à coups de canon et qui, selon l’expression d’un poète, donnent au monde

Des cours d’artillerie et de haute morale.

L’ouvrage en deux volumes que M. Strauss a consacré à l’un des ouvriers de la réforme, Ulrich de Hutten, est un travail important, fruit de patientes recherches. Il a le premier éclairci les obscurités dont cette intéressante figure était enveloppée ; le premier, il a débrouillé d’une main sûre le confus écheveau d’une biographie encore à peine ébauchée, en rapportant les principaux écrits de Hutten à leur vraie date et aux événemens qui les ont inspirés. Ce qu’on lui pourrait reprocher, c’est d’avoir prodigué le détail sans distinction et sans choix, de n’avoir rien su refuser à son érudition. Son livre trop dense, trop touffu gagnerait, pensons-nous, à être émondé ; l’auteur a oublié le proverbe allemand qui dit que les arbres empêchent quelquefois de voir la forêt. N’est-ce pas s’abandonner à son goût avec trop de complaisance que de consacrer près de 800 pages à un homme qui, après tout, n’a joué qu’un rôle secondaire dans le grand drame de la réformation allemande, et auquel M. Strauss, par conscience critique, se voit contraint de retirer son principal titre de gloire, cette première partie des Epistolœ obscurorum virorum, où l’Allemagne a trouvé son Rabelais ? C’est un abus aussi d’employer tout un chapitre a disserter savamment sur la vilaine maladie dont Hutten ne put jamais guérir, et que son biographe nous décrit avec un acharnement d’exactitude vraiment héroïque. Qu’importe à la postérité ? Il ne faut sacrifier le goût qu’aux intérêts d’état.

De tous les livres que nous devons à la plume de M. Strauss, son Hutten est peut-être celui qu’il a écrit avec le plus de chaleur et d’entraînement. Il a trouvé dans le chevalier franconien un héros selon son cœur, homme de lutte et polémiste ardent, qui a mis son talent et toute son âme au service de la liberté religieuse, d’ailleurs plus théologien que chrétien et le plus Allemand de tous les champions de la réforme. Luther est une grande conscience, son histoire est un chapitre de l’histoire de la conscience humaine ; c’est par là qu’il est universel. Le sentiment religieux n’a guère eu de