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résurrection de leur maître, il n’y aurait point eu d’église chrétienne, et il déclare en même temps que cette foi est éclose en eux par une sorte de génération spontanée, sans qu’il se fût rien passé qui la pût justifier. Qu’il nous explique du moins comment les disciples d’un homme qui ne se donnait point pour un être surnaturel en sont venus à se persuader qu’il était sorti vivant de son tombeau. Tant que la critique n’aura pas fourni à l’histoire cette explication qu’elle lui doit, il nous sera permis de lui remontrer qu’elle a ses mystères, elle aussi, et que le plus étonnant des miracles serait une religion fondée par un sage.

A vrai dire, M. Strauss fait assez bon marché de cette restitution du Christ historique à laquelle il a consacré tant de pages. Il confesse dans ses conclusions que de telles recherches ne peuvent aboutir qu’à des conjectures plus ou moins plausibles, et qu’on ne saurait fonder une religion sur une hypothèse. Il en infère que le plus sûr est de croire au Christ éternel, c’est-à-dire à l’idéal de l’humanité tel que nous le concevons au XIXe siècle, ce qui ne l’empêche pas de réclamer vivement contre qui l’accuserait « de déserter le christianisme et de renier le Christ. » Bien que la langue allemande soit plus élastique que la nôtre, nous craignons que M. Strauss n’abuse de ses complaisances ; nous craignons aussi que, chrétien ou non, le culte de la pure humanité n’offre à la pratique d’assez grandes difficultés, et il nous paraît que dans sa préface il promettait autre chose au peuple allemand. Nous l’avons dit, ses intentions sont pures et charitables, et sa théologie se croit tenue en conscience de restituer aux fidèles dans une autre monnaie ce que sa critique leur ôte ; mais elle n’y a pas encore réussi, et M. Strauss pourrait s’écrier comme cette mère qui croyait à l’Emile de Rousseau : « J’ai dans la tête un fils dont je n’ai pu accoucher. »


III

En 1840, Mærklin, après avoir été vicaire à Brackenheim, diacre pasteur assistant dans la petite ville de Calw, et avoir publié un livre sur le piétisme qui scandalisa les piétistes, se vit dans la nécessité de renoncer au saint ministère, où il donnait l’exemple de toutes les vertus. Nommé professeur de littérature latine au gymnase de Heilbronn, cet homme, d’un noble esprit et d’un grand cœur, ne s’était pas séparé sans regret des œuvres de bienfaisance et de charité chrétienne auxquelles il avait voué sa vie ; mais les œuvres ne manquent nulle part à qui veut faire le bien, et il ne tarda pas à se réjouir de sa nouvelle liberté, qu’il avait conquise