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aiguisait sur la meule pour en transpercer le nouvel Iscariote. Orthodoxes, piétistes, rationalistes et mystiques, Israël et Juda, la race de Schleiermacher et les disciples de Hegel, il eut tout le monde sur les bras, ceux qui croyaient et ceux qui faisaient semblant de croire. Aux raisons se mêlaient les lamentations et aux gémissemens les injures. Hengstenberg l’accusait de porter dans sa poitrine un cœur de léviathan, d’autres le nommaient antéchrist ; ceux qui pensaient à peu près comme lui le traitaient d’enfant terrible qui avait tout compromis en révélant le secret de la maison, les prudens lui reprochaient amèrement de n’avoir pas écrit en latin.

Il fit face à la tempête avec un courage tranquille, raisonnant, argumentant, sans toutefois rester en arrière d’injures avec ceux qui les lui prodiguaient[1], mais sans que personne pût se vanter de l’avoir mis en colère. En 1840, pour prouver qu’il n’était pas venu à résipiscence, il publiait un second livre, complément naturel du premier, une dogmatique qui n’est, à proprement parler, qu’une histoire critique du dogme, et qu’il aurait pu intituler : grandeur et décadence des doctrines chrétiennes. Il en racontait les origines, la formation graduelle, les jours de gloire et de règne incontesté, pour les montrer ensuite se décomposant et s’effondrant sur place par la double action corrosive de la critique et de la philosophie. Contrairement aux hégéliens de la droite, il niait que la vérité se puisse exprimer en deux langues, les images et les symboles dont les religions l’enveloppent y introduisent un alliage qui l’altère et des contradictions qui l’obscurcissent. Après avoir dissous cet alliage et l’avoir vu s’envoler en fumée, le théologien chimiste retournait son creuset ; on trouvait au fond pour résidu quelques formules rédigées en langage hégélien, le credo qu’il avait déjà exposé dans les conclusions de la Vie de Jésus ? et qui se résume ainsi : — le véritable homme-Dieu est l’humanité, cette fille d’une mère visible et d’un père invisible, de la nature et de l’esprit. Elle est le grand thaumaturge, puisque de siècle en siècle elle maîtrise plus puissamment La matière et l’asservit à ses desseins ; elle est impeccable, car toutes les fautes et tous les crimes de l’histoire sont imputables

  1. Les Allemands sont nos maîtres en fait d’aménités littéraires. Dans sa Nouvelle vie de Jésus, M. Strauss reproche aux néo-orthodoxes « leur indécent aplomb » et à M. Ebrard « son impudence » Il appelle le professeur Ewald l’hippogriffe de Gœttingue. Il compare ailleurs les apologistes a des campagnols ou à des cloportes. Dans sa Dogmatique, il traitait M. Weisse de saltimbanque ou de charlatan : « Voilà l’homme qui s’entend à panser les blessures de la foi, à enlever sans douleur à la philosophie ses dents malades. Entendez-vous sa trompette ? Le voici qui s’avance. La voiture de Dulcamara vient de s’arrêter. Silence ! il va parler… »