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paysages de Heidelberg, ce séjour prêchait la prudence à son génie, et on l’avait vu d’année en année surveiller davantage sa parole et sa pensée. Dans son cours sur la Philosophie de la religion, qu’il professa pour la première fois en 1821, il proclame que le christianisme est la religion absolue, formule destinée à dissiper les défiances et les ombrages qui l’entouraient. Le christianisme et la philosophie enseignaient, disait-il, les mêmes vérités dans deux langues différentes, et ce principe lui était d’autant plus facile à soutenir qu’il trouvait dans son système des équivalens ou des analogues à tous les dogmes chrétiens. La religion par le la langue du symbole et de l’image, la philosophie la langue de l’idée ; le fond est le même, la forme seule diffère. C’est ainsi qu’à sa manière il accommodait le grand différend, accordait le Christ et la dialectique. Quand la Vie de Jésus parut, Hegel et Schleiermacher venaient de mourir ; mais la promesse de paix qu’ils avaient annoncée au monde avait été recueillie par leurs innombrables disciples. La philosophie, cette fière païenne, a dit M. Strauss dans sa Dogmatique, se soumettait humblement au baptême, la foi lui délivrait un certificat de zèle ; la jeunesse théologique laissait les couleuvres du doute jouer autour de sa tête et de son sein : qu’avait-elle à craindre de leurs morsures ? elle savait des enchantemens et des charmes tout-puissans. Un nouvel âge d’or s’ouvrait, la panthère habitait innocemment avec les boucs, le loup paissait auprès des brebis ; par malheur il s’en trouva un qui se lassa de manger de l’herbe, et tout fut perdu.

Si le jeune auteur de la Vie de Jésus, à l’âge où l’on ne relève que de son épée ou de son talent, où l’on tient la conséquence de l’esprit pour la première des vertus, ne savait se prêter aux transactions proposées par les maîtres de la théologie et de la sagesse profane, il ne goûtait pas davantage les préoccupations qu’apportaient dans la critique sacrée les exégètes orthodoxes et rationalistes. Les uns admettaient au pied de la lettre les récits miraculeux contenus dans les Évangiles, s’appliquant seulement à en adoucir certains détails par une interprétation qui n’était ni scientifique ni rigoureusement scripturaire ; les autres soutenaient que dans ces récits le miracle est le fait ou de la naïveté des narrateurs ou plus souvent encore de la prévention des exégètes, mais qu’à les bien prendre on ne doit y voir que des événemens naturels, où la raison ne trouve rien à redire. Orthodoxes et rationalistes s’entendaient à reconnaître la vérité historique des Évangiles, et s’efforçaient d’accorder les contradictions qu’ils présentent. Les attaquant de front les uns et les autres, M. Strauss établit que les témoignages des évangélistes n’ont jamais le caractère de témoignages oculaires, et que leurs