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mais médiocre, qui tantôt rabrouait arrogamment la science, tantôt parlementait avec elle, et dont on a pu dire qu’il était, comme certains poissons, insipide et plein d’arêtes. Ni l’une ni l’autre de ces doctrines surannées ne réussit à captiver notre séminariste ; il y trouvait des contradictions qui le rebutaient. Kant lui-même et son école ne lui agréaient point, il s’irritait de tout cet appareil de discussion par lequel le philosophe de Kœnigsberg procède à l’explication du problème de la connaissance ; la philosophie ne l’a jamais intéressé que dans ses rapports avec la religion. S’il ne nous le disait lui-même, nous aurions peine à croire que le premier culte de cet esprit si rassis fut pour le mysticisme et les mystiques. Plus encore que Schilling et la philosophie de la nature, les spiritualités de Bœhme eurent raison de son indifférence, subjuguèrent son imagination, et lui firent connaître ces premières joies de la pensée qui égalent en douceur les transports d’un premier amour. Il se flattait d’avoir trouvé dans le cordonnier de Gœrlitz le révélateur inspiré qui devait le mettre en communication directe avec la vérité, l’initier à la connaissance immédiate du divin. « Je me pris à croire en Bœhme, nous dit-il, avec autant de ferveur qu’on a jamais pu croire aux prophètes et aux apôtres, » Cependant, si grandes que fussent ses qualités, Bœhme avait un défaut : comme le cheval de Roland, il était mort. Un grand prophète mort ne vaut pas un petit prophète vivant, et le premier mérite d’un miracle est de se laisser voir et toucher. Il n’était bruit alors en Souabe e que de voyans, de sorciers, de somnambules. Un matin, David Strauss et deux de ses amis partirent à la recherche d’un miracle ; ils eurent l’insigne fortune de mettre la main dans la même journée sur un berger magicien qui guérissait par des charmes et qu’ils virent à l’œuvre, sur une devineresse qui rencontra juste ou à peu près dans ses révélations et ses prophéties.

Un plus grand bonheur lui était réservé. Justinus Kerner venait de recueillir chez lui, a Weinsperg, pour l’observer et la guérir une somnambule qui est parvenue à la renommée sous le nom de « la voyante de Prevorst, » David Strauss n’eut pas de cesse qu’il n’eût contemplé de ses yeux la voyante et que par elle il n’eût commercé avec les esprits qui la hantaient. Il nous a fait une vive peinture de cette bonne fortune spirituelle et des émotions qu’il en ressentit : « Kerner me reçut, avec une bonté paternelle et me présenta bientôt à la somnambule, qui reposait, dans une pièce du rez-de-chaussée. Elle ne tarda pas à tomber dans le sommeil magnétique, et je pus observer pour la première fois ce remarquable phénomène dans ce qu’il a de plus rare et de plus beau. Un rayonnement, céleste inondait le visage maladif de cette femme aux traits