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offre un singulier mélange de passion et de flegme, d’ardeur militante et de raisonnement tranquille et rassis. Il a en quelque sorte l’imagination intermittente, son. style en fait loi, et ses audaces se ravisent. Le satyre de l’a fable lui pourrait reprocher de souffler tour à tour le froid et le chaud.

Beaucoup de lecteurs de la première Vie de Jésus se sont figuré sérieusement que M. Strauss était un sceptique qui niait jusqu’à l’existence du Christ, et on a pensé ne pouvoir le mieux réfuter qu’en lui démontrant à lui-même qu’il n’existait pas ; c’est une des misères des esprits supérieurs que d’être exposés à de pareilles interprétations. D’autres le tiennent pour un libre penseur, pour l’un des représentans les plus avancés de la philosophie hégélienne, et aujourd’hui cette philosophie est moins goûtée en France que jamais ; on s’en prend à elle de beaucoup de choses dont elle n’a point à répondre. Il serait bon de se dire qu’en Allemagne les sciences positives d’une part, le piétisme de l’autre, ont détrôné la philosophie, que la métaphysique y est tombée dans un profond discrédit, que depuis bientôt vingt ans l’hégélianisme est en disgrâce à Berlin, qu’à peine y a-t-il conservé quelques rares adhérens, petite église délaissée et gémissante, qu’au surplus les hommes qui gouvernent la Prusse ont en mépris toute spéculation, à l’exception de celles qui rapportent, et qu’en vérité Hegel n’est pour rien dans le bombardement de Strasbourg et de Paris. Pour ce qui est de M. Strauss, s’il a étudié la philosophie, il ne l’a point cultivée pour elle-même ; il a toujours été, il mourra théologien. Sans doute, à lire certains passages de ses livres, on la prendrait pour un hégélien de la stricte observance ; mais son hégélianisme est au service de sa théologie, ancilla theologiœ. Hegel a dit quelque part que bien que la philosophie soit une science, beaucoup de gens se refusent, à la traiter comme telle et ne l’étudient que dans l’espoir d’y trouver une religion. « Ils lui demandent, ajoutait-il, de leur remplacer la foi qu’ils ont perdue et de leur tenir lieu de pasteur. » Il a dit ailleurs : « Un bas raccommodé vaut mieux qu’un bas déchiré ; il n’en va pas. de même de la conscience. » M. Strauss ne s’est jamais senti tourmenté de ses doutes, il a toujours vécu en paix avec lui-même et avec son œuvre ; il n’a pas connu les tragiques souffrances d’une âme à qui sa foi vient à manquer et qui dans son naufrage se cramponne avec désespoir à quelque planche de salut. M. Strauss n’est pas un Saxon comme Luther, ni un Breton comme Lamennais : il est Souabe, et il y a dans le Souabe comme un parti-pris d’être heureux en dépit de tout ; mais ce Souabe a été vicaire dans un village, et en jetant le froc aux orties il n’a pas abjuré l’esprit ni les devoirs. de son ministère. Il se croit obligé de guérir les blessures qu’il