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l’Académie des athées et des matérialistes, il y en avait récemment, il y en a peut-être encore, et à côté d’eux il y a toujours eu aussi des évêques, même des cardinaux. C’est bien possible, et jusqu’ici M. Dupanloup lui-même ne paraît pas avoir demandé à chacun de ses confrères de l’Institut une profession de foi religieuse. Il y a seulement une différence : ces athées étaient des esprits fins qui se contentaient assez habituellement de garder leur athéisme pour eux, qui ne le mettaient guère en philosophie et qui étaient encore moins tentés de le mettre en politique. Ce n’étaient pas des prédicateurs de révolution sociale. Aujourd’hui malheureusement le matérialisme philosophique et social s’est traduit en scènes sinistres.

Certes l’Académie a un juste sentiment d’elle-même et de son rôle lorsqu’elle se montre aussi large que possible dans ses choix ; elle n’a aucun symbole d’orthodoxie à imposer, elle n’est ni une église ni un concile, quoique Tocqueville l’ait comparée un jour spirituellement à un conclave. Encore est-il assez simple que ceux qui la composent soient en quelque sorte de la même civilisation, du même ordre intellectuel, du même ordre de société, qu’il y ait entre eux un certain lien, une certaine communauté de traditions et d’habitudes. Qu’arriverait-il cependant, si les idées de M. Littré venaient à se réaliser ? Il est bien certain que la société actuelle disparaîtrait, et l’Académie française elle-même deviendrait ce qu’elle pourrait dans la rénovation positiviste et socialiste, de sorte qu’on ne voit pas bien pourquoi M. Littré désirait être de l’Académie, et pourquoi l’Académie désirait compter M. Littré parmi ses membres. On a beau vouloir distinguer entre le savant et le philosophe de la rénovation sociale, entre l’érudit et le politique à qui la commune prend ses programmes ; c’est une distinction subtile qui aurait pu être bonne autrefois dans des temps plus calmes, qui est moins acceptable aujourd’hui, qui n’est même digne ni de l’Académie ni du nouvel élu, et franchement M. Dupanloup avait quelque raison lorsqu’il disait à ses collègues du palais Mazarin : « Ce n’est pas tant mon église, c’est votre maison qu’on dévaste. » Ce n’est pas sûrement M. Littré qui dévasterait la maison. Tout ce qui pourrait lui arriver de plus heureux et de plus honorable, ce serait d’être lui-même la victime de ses opinions philosophiques et politiques mises en action.

Qu’il y ait une certaine inconséquence dans cette étrange aventure académique, on n’en peut disconvenir. L’inconséquence est un peu partout, chez le nouvel académicien aussi bien que chez ceux qui l’ont élu ; elle n’est pas dans la résolution de M. Dupanloup, et elle n’est pas non plus dans ce fait qu’on reproche à M. l’évêque d’Orléans de continuer à être le collègue de M. Littré à l’assemblée nationale après avoir décliné l’honneur d’être son confrère à l’Institut. L’Académie et l’assemblée nationale ne sont pas précisément la même chose, et ne procèdent pas de